De plus grandes cages, De plus longues chaînes*

Le projet remanié prévoit que les patrons ne pourront pas distribuer plus de 100 coups de fouet aux indociles.

Sébastien Fontenelle  • 16 mars 2016 abonné·es

Lundi : le gouvernement « socialiste » annonce, par la voix de sa ministre du Travail, qu’il va procéder, « à la demande générale de 500 millions de salariés » et « pour en finir avec le fléau du chômage », à une réforme du droit du même nom.

Il avance, pour justifier cette initiative, plusieurs arguments de poids, et fait notamment valoir que « le code du travail, tel qu’il a été initialement rédigé par des bolcheviques sous acide, fait 139 000 pages, t’as vu : c’est 138 999 de trop, ça prend pas non plus des plombes d’écrire que l’esclavage c’est la liberté, bordel ».

Mardi, comme un journaliste spécialement effronté – qui n’est donc pas le présentateur du journal télévisé du soir de France 2 – lui demande quelques précisions sur le contenu de cette réforme, le Premier ministre lui répond qu’« expliquer, c’est déjà s’excuser un peu, et moi, tu vois, chuis pas Louise Michel, connard ».

Mercredi : une « source proche de Matignon » fait fuiter dans la presse (où elle n’a que des potes d’une indécente servilité) l’information selon laquelle le texte gouvernemental prévoit que les salarié(e)s devront dédommager les employeurs qui les vireront, et que « les patrons auront désormais le droit d’infliger 500 coups de fouet aux récalcitrant(e) s, tu t’es cru(e) où, sans déconner ? » (Toute la nuit, de longs râles de plaisir montent du siège du Medef, où l’orgie durera plusieurs jours.)

Jeudi : les syndicats demandent le retrait immédiat du projet de loi répugnant et déposent un préavis de grève. Quelques heures plus tard, le quotidien vespéral des marchés consacre six pages (dont cinq et demi de commentaires incroyablement grotesques) à un éloge dégoulinant du « sens des responsabilités » du big boss de la CFDT, qui a de son côté « averti » le gouvernement qu’il ne « signerai(t) pas » ce texte en l’état – mais putain, ça fait dix ans qu’on se bat pour que les chaînes des salarié(e)s ne leur blessent pas trop les chevilles et tu crois que je vais brader ma street credibility ? No way, René.

Vendredi : plusieurs centaines de milliers de personnes manifestent dans tout le pays à l’appel des syndicats. Dans le même temps, cinquante-sept adhérents de la CFDT se réunissent sur un misérable bout de trottoir de la place de la République, à Paris.

Lundi matin, le gouvernement annonce qu’il a entendu les « interrogations » de la CFD… des Françai(se)s, et présente un nouveau projet, entièrement remanié, qui prévoit que les patrons « ne pourront pas distribuer plus de 100 coups de fouet » aux salarié(e)s qui les feront trop chier sans que cela ait d’abord fait l’objet d’un « accord » au sein de l’entreprise. Indifférent aux interminables feulements qui se font entendre au siège du Medef, le chef en chef de la CFDT proclame sur France 2 qu’il est « subjugué » par le nouveau texte et remercie le Premier ministre pour « sa disponibilité, son écoute, sa gentillesse, à samedi, j’apporte le dessert ».

L’après-midi, Le Monde titre : « La réforme enchantante ! »

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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