« Figaro divorce » : Le barbier embourgeoisé

Deux siècles après Beaumarchais, sous la plume d’Horváth, Figaro est un exilé passé du côté des puissants. Séduisant.

Gilles Costaz  • 16 mars 2016 abonné·es
« Figaro divorce » : Le barbier embourgeoisé
© **Figaro divorce,** Théâtre du Nord, Lille, jusqu’au 20 mars. Puis à Quimper, 23-24 mars ; Tremblay-en-France, 8-9 avril ; Caen, 11-12 mai ; Amiens, 17-18 mai ; Paris XVe (Le Monfort), du 26 mai au 11 juin. Texte ­français d’Henri Christophe et Louis Le Goeffic, Actes Sud-L’Arche. Photo : Simon Gosselin

En 1936, Ödön von Horváth écrit, avec beaucoup de culot, une suite au Mariage de Figaro,de Beaumarchais : il la situe à l’ère moderne, dans une Europe où il y a un mouvement révolutionnaire, des frontières à franchir, du nationalisme et des migrants (le mot n’existe pas, Horváth dit « émigrés »). Figaro, sa femme Suzanne et leurs maîtres, le comte Almaviva et la comtesse, ont quitté leur pays et sont désormais exilés. L’ex-barbier se libère de la servitude et ouvre un salon de coiffure, le comte dilapide sa fortune et tâte de la prison. Le peuple qui a pris le pouvoir est sans pitié, Figaro revient dans son pays pour s’intégrer au système, devenu un puissant à l’âme de larbin qui ne comprend pas que la naissance d’un enfant sauverait son couple et peut-être le monde.

Cette pièce magnifique, qui se déploie comme un roman aux nombreuses scènes et multiples lieux, a déjà été mise en scène par Jean-Paul Wenzel et Jacques Lassalle. Nouveau directeur du Théâtre du Nord, à Lille, ­Christophe Rauck la monte à son tour, dans une esthétique ­abondante qui recourt à la vidéo en toile de fond d’un décor simple et pourtant plein de surprises. La musique et les lieder y prennent une place importante, entrent même dans une sorte de dialogue avec les mots.

Il y a sans doute trop d’images vidéo dans la première moitié – même si elles permettent de varier les angles de vue et les transpositions avec aujourd’hui – mais la richesse des langages crée un style joueur qui renouvelle sans cesse le déroulement.

John Arnold est un Figaro remarquable par sa mise en lumière de la noirceur, de la douleur et de l’embourgeoisement. Car la pièce, c’est cela : l’embourgeoisement d’un homme et d’une société. Cécile Garcia-Fogel est une Suzanne fascinante, et Jean-Claude Durand un Almaviva opaque et impressionnant. En compagnie également de Nathalie ­Morazin, Flore Lefebvre des Noëttes, ­Caroline Chaniolleau, Guillaume Lévêque, Jean-François Lombard, cette chronique de nos petitesses puise une bonne part de sa force dans un amour de l’enfance que Christophe Rauck a su placer de façon souterraine et permanente.

Théâtre
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