Malaise en cours

Solitude, formation défaillante, colère de ne pouvoir assumer la promesse démocratique : les enseignants se débrouillent comme ils peuvent et voudraient refonder leur métier.

Ingrid Merckx  • 9 mars 2016 abonnés
Malaise en cours
© Photo : FRED DUFOUR / AFP

Cent mille visites en trois jours, 147 000 un mois plus tard. La lettre ouverte, publiée sur Politis.fr, d’enseignants du collège Hubertine-Aubert, à Toulouse, réagissant au suicide, le 27 janvier, de leur collègue Vincent s’est répandue comme une traînée de poudre, en particulier sur les réseaux sociaux. « Le suicide de ce jeune stagiaire de 27 ans a bouleversé la communauté éducative », écrit John Strempe sur le site du NPA Révolution permanente. Et de mettre en évidence « les problèmes de violence et surtout le manque de moyens pour réussir à faire de la pédagogie et non de la répression. Car c’est bien là le nœud du problème. Ce n’est pas le fait d’élèves violents, mais la non-prise en charge et le délaissement total de ceux-ci par les institutions qui n’offrent d’autre solution que celle de les isoler ». Solitude face à la violence, face à des élèves difficiles, handicapés ou en difficultés scolaires et sociales.

Alors que d’autres métiers du secteur, comme ceux d’éducateurs, ont une tradition d’échanges sur leurs pratiques et leur ressenti intégrée dans leur temps de travail, les enseignants souffrent de manque de soutien et du peu de temps réservé au travail en équipe dans leur emploi du temps. S’ils sont plusieurs à en aménager spontanément, ils sont aussi quelques-uns à se retrouver très démunis dans leur classe. Que fait un enseignant qui souffre au travail ? Vers qui se tourne-t-il ? « Il peut contacter la section MGEN de son département, apprend Laurent Bornert, élu de la section 77 de la MGEN, ancien prof d’allemand et ex-formateur en IUFM. Via le réseau Pas, pour “Prévention, aide et suivi”, il pourra bénéficier de rendez-vous avec un psychologue qui l’orientera, et ce sans en avertir sa hiérarchie. » Mais rares sont ceux qui connaissent l’existence de ce réseau. « En outre, reprend Laurent Bornert, l’Éducation nationale manque cruellement de médecins du travail : ils seraient 70 équivalents temps plein pour un million d’enseignants. Il en faudrait 400 ! C’est pourtant bien de la prévention qu’il faudrait faire. »

« Il y a incontestablement un malaise enseignant aujourd’hui, résume Valérie Sipahimalani, secrétaire générale adjointe du Snes, syndicat du second degré. La réforme du collège arrive comme un plan social supplémentaire. Avec les programmes par cycle, les débutants doivent mettre quatre années de cours en place d’un coup. De plus en plus jettent l’éponge. Les contractuels prennent peur. Que dire à nos jeunes -collègues ? » Elle rappelle que les débutants gagnent 1,1 fois le Smic, soit 1 457 euros nets. « Dans les académies de Versailles et de Créteil, ils ont du mal à se loger. Les profs ont perdu l’équivalent de deux mois de salaire en quinze ans. Alors qu’ils sont maintenant recrutés à un niveau cadre ! » Et, selon elle, la fracture s’agrandit avec la hiérarchie : « La plupart du temps, les chefs d’établissement ne sont pas animateurs d’équipe mais managers. »

Pour le premier degré, le Snuipp a publié le 19 janvier une enquête qui appelle à refonder le métier. « Ils sont 88 % parmi les enseignants interrogés à estimer que leur profession s’est dégradée, résume Sébastien Sihr, secrétaire général du syndicat. Ils mêlent une grande fierté et une vraie vocation à un fort sentiment d’impuissance pour assurer la promesse démocratique. » Mécontentement général vis-à-vis des nouveaux rythmes scolaires, manque de formation initiale et continue, sentiment de devoir prendre en charge seuls les problèmes de la société. « On fait peser toutes les responsabilités sur l’école, qui concentre les difficultés sociales et scolaires. L’entre-soi se développe, et des concentrations ethniques et sociales par endroits. »

Il y aurait une fracture territoriale dans la perception que les enseignants ont de leur métier. Le malaise étant plus fort en milieu urbain, là où les ghettos scolaires s’accroissent. Sans compter une grande disparité entre les nouvelles Écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE). « Le cadrage national n’est pas assez fort. La deuxième année de master pour les enseignants stagiaires est un vrai parcours du combattant. »

Quelles solutions ? « Ils sont 80 % à réclamer du conseil plutôt que du jugement, souligne Sébastien Sihr. Ils ont le sentiment qu’on les empêche de bien faire, qu’on les laisse se débrouiller seuls face à des situations difficiles. Ils ont besoin qu’on leur fasse confiance, qu’on les soutienne et qu’on les forme. »

Société
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