Climat de colère

La multiplication des conflits, qui se greffent sur le rejet de la loi travail et s’expriment dans les Nuits debout, constitue une contestation globale dont François Hollande est la première victime.

Michel Soudais  • 27 avril 2016 abonné·es
Climat de colère
© Pierre Crom/Getty Images/AFP

Les sondages se suivent et se ressemblent pour le chef de l’État. Avec 14 à 17 % de cote de popularité, François Hollande est le plus impopulaire de tous les présidents de la Ve République. Selon une dernière vague d’enquêtes, il serait éliminé dès le premier tour de la présidentielle, avec 13 % (TNS-Sofres) à 16 % (Ifop) des voix, largement devancé par le candidat de droite, quel qu’il soit, et Marine Le Pen. Jamais un président n’a été dans une situation aussi désespérée à un an de l’élection. Et le premier secrétaire du PS n’est pas loin d’y voir un complot. Selon Jean-Christophe Cambadélis, il y aurait « un consensus médiatico-sondagier pour conduire le président de la République à renoncer à sa candidature », « l’oligarchie politique et sondagière » mènerait campagne pour imposer la victoire d’Alain Juppé. Rue de Solférino, on voit tout par le petit bout de la lorgnette.

Ces explications ont un sérieux point aveugle : elles font abstraction des causes sociales et politiques de cette impopularité. Quand, depuis plus d’un an, les sondages indiquent que François Hollande ne parviendrait pas à se qualifier pour le second tour de la présidentielle, ou quand, depuis quelques jours, Jean-Luc Mélenchon vient talonner le chef de l’État avec 11 % à 16 % d’intentions de vote, ce ne peut être l’effet d’un simple –« Hollande bashing » médiatique. Les raisons de ce rejet populaire, qui affecte même le noyau dur de l’électorat socialiste, tiennent davantage à la multiplication des conflits sociaux et environnementaux. Ceux-ci expriment un profond mécontentement, souvent sectoriel, d’où son caractère protéiforme (voir page suivante). Mais le foisonnement des colères et leur accumulation instaurent un climat que d’aucuns estiment pré-révolutionnaire.

De fait, en cette fin avril plutôt frisquette, le thermomètre social n’est pas indexé sur la météo. Pas un jour sans grève ou manifestation. Lundi, près de 400 intermittents étaient devant le ministère du Travail. Ils protestaient contre le contenu des négociations sur -l’assurance -chômage, avant de gagner la place de l’Odéon, dont le théâtre est occupé par une quarantaine d’entre eux, et d’y être rejoints par les participants de Nuit debout. Mardi, tous les syndicats représentatifs de la SNCF avaient invité les cheminots à cesser le travail, pour la troisième fois en huit semaines, afin de peser sur les négociations en cours concernant l’harmonisation des règles de travail dans le secteur ferroviaire, en vue de l’ouverture à la concurrence. Jeudi, les sept syndicats de salariés et d’étudiants opposés à la loi travail, débattue à partir du 3 mai à l’Assemblée nationale, appellent à une nouvelle journée de grève et de mobilisation pour exiger le retrait du texte. Une revendication qui sera au centre des manifestations du 1er Mai, et pour laquelle le congrès de la CGT a demandé à tous ses militants dans les entreprises et autres lieux de travail d’organiser des assemblées générales pour décider de la reconduction de la grève au soir du 28 avril.

Encore ces rendez-vous ne rendent-ils pas compte de la prolifération de manifestations sauvages. Mercredi 21 avril à la mi-journée, les anti-loi El Khomri, principalement des lycéens, étudiants et militants du DAL, bloquent une agence de la BNP dans le centre de Toulouse. Au même moment, 100 à 150 lycéens et participants de Nuit debout occupent le péage de Saint-Jean-de-Védas, au sud de Montpellier, obligeant des automobilistes à faire demi-tour sur l’autoroute. Simultanément, à Paris, une manifestation sauvage empêche l’accès à trois fast-foods de la gare du Nord. Cette action, conduite en solidarité avec les salariés d’un McDo en grève la veille pour leur rémunération, illustre la convergence des luttes que les initiateurs de Nuit debout essaient de créer. Cernés par la police, qui ne les laissera repartir qu’après plusieurs heures, les manifestants scandent à l’intention de ces multinationales de la restauration rapide : « Payez vos impôts, augmentez vos salariés ! »

Des petites actions comme celles-là, il y en a tous les jours depuis la naissance de Nuit debout. Et, s’il devient impossible de toutes les recenser, elles sont révélatrices de ce que cet espace de discussion citoyenne, présent désormais dans un nombre croissant de villes, produit déjà. Avec la critique de l’organisation du travail et de la répartition des richesses, la dénonciation du sort fait aux migrants, des violences policières et des paradis fiscaux, la remise en cause des institutions et du modèle de développement, les éléments d’une contestation globale sont réunis. Ne manque qu’une étincelle.

Face à ce rejet, le dernier carré des hollandistes rassemblé lundi dans un amphi de la fac de médecine croit encore qu’il suffit d’expliquer que la politique conduite est la bonne et la seule possible. « La France va mieux », ont-ils martelé contre toute évidence (voir la chronique de Liêm Hoang-Ngoc, p. 14). « Beaucoup de difficultés nous viennent de la gauche », a néanmoins admis Najat Vallaud-Belkacem. Ce n’est pas faux. Et cela ne fait sans doute que commencer.

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