Élections américaines : À la conquête des minorités

En 2016, l’électorat américain sera le moins blanc de l’histoire. Une évolution liée à la démographie du pays, qui profite plutôt aux Démocrates.

Alexis Buisson  • 27 avril 2016 abonné·es
Élections américaines : À la conquête des minorités
© JUSTIN SULLIVAN/GETTY IMAGES/AFP

« Je suis un immigré, et, pour les immigrés, Hillary Clinton est la meilleure candidate ! » -Ferguson, originaire de Jamaïque, a fait son choix. Rencontré dans un centre communautaire perché dans le nord du Bronx, au milieu d’un complexe HLM, il faisait partie des centaines de personnes – essentiellement afro-américaines et hispaniques – venues applaudir Hillary Clinton quelques jours avant les primaires new-yorkaises, qui se sont tenues le 19 avril.

Pour l’ex-première dame, qui ne savait pas encore qu’elle remporterait l’échéance haut la main, ce meeting était la séquence idéale pour montrer sa popularité auprès des « minorités », dont elle courtise le vote depuis le début de la campagne. Elle n’est évidemment pas la seule. Son rival démocrate, Bernie Sanders, tente de montrer, au fil des réunions publiques, qu’il n’est pas le « candidat des Blancs » que le camp Clinton s’emploie à dépeindre. N’a-t-il pas donné le coup d’envoi de sa campagne new-yorkaise dans le South Bronx, un quartier majoritairement hispanique et afro–américain ? Ne s’est-il pas montré, comme Clinton, dans un meeting de la NAACP, la puissante association américaine des « personnes de couleur » ?

Chez les Républicains, seuls certains anciens candidats, comme Jeb Bush et Rand Paul, ont fait des appels du pied aux -Hispaniques quand ils étaient encore en course. Bush, notamment, marié à une -Mexicaine, a usé de son espagnol pour tenter de convaincre les électeurs. En vain. Ted Cruz et Marco Rubio, tous deux fils d’immigrés, se sont plutôt illustrés par leur rhétorique anti-immigration. Quant à Donald Trump, sa proposition de construire un mur financé par le Mexique le long de la frontière -américano-mexicaine a suscité une belle levée de boucliers. Le résultat est -catastrophique pour le parti républicain. La part des Hispaniques – qui considèrent que le parti conservateur leur est « hostile » – dans quatorze États clés a doublé depuis 2012, selon un récent sondage.

Ces positions qui froissent l’électorat non blanc pourraient bien coûter une nouvelle fois la victoire aux Républicains. En effet, l’électorat de 2016 sera le plus « coloré » de toutes les présidentielles, selon les statistiques publiées par le Pew Research Center. Près d’un tiers (31 %) du corps électoral en novembre 2016, date du vote, sera afro-américain, hispanique, asiatique ou issu d’une autre minorité raciale ou ethnique. Un pourcentage en hausse de deux points par rapport à 2012. Même si la population blanche non hispanique est toujours prédominante (156 millions de personnes contre 70 millions d’électeurs dits non blancs), sa croissance est plus lente que les autres groupes.

En effet, toujours selon Pew, les électeurs issus des « minorités » ont gagné en net 7,5 millions de personnes depuis 2012 contre seulement 3,2 millions pour les Blancs. Deux raisons à cela : nombre d’électeurs blancs sont décédés (7,6 millions entre 2012 et 2016), conséquence du vieillissement démographique, et ils sont sous-représentés dans la population des jeunes arrivant à l’âge de voter. « Toutes les trente secondes, un citoyen hispanique fête ses 18 ans et peut voter. C’est 66 000 de plus chaque mois, un nombre élevé », a calculé Gabriel -Sanchez, professeur de sciences politiques à l’université du Nouveau-Mexique.

Ces évolutions, qui concernent de nombreux États électoraux clés comme l’Ohio, le Texas ou la Floride, handicapent avant tout les Républicains, lesquels peinent à séduire au-delà de leur bastion blanc masculin. Lors des trois dernières présidentielles, le soutien des Hispaniques au parti de l’éléphant s’est effondré. Après l’élection de 2012, ce dernier s’était livré à une sorte d’introspection sous la forme d’un document de cent pages abordant les points à changer pour améliorer l’image du parti. On pouvait notamment y lire une invitation à faire davantage campagne « auprès des Américains hispaniques, noirs, asiatiques et homosexuels », à défendre « une réforme globale du système d’immigration », à accroître le recrutement de personnels issus des minorités ou encore à constituer une base de données de leaders noirs, hispaniques ou originaires de groupes ethniques ou raciaux susceptibles de relayer les propositions du parti dans leur communauté.

« Beaucoup de minorités pensent à tort que le parti républicain ne les aime pas ou ne les veut pas dans le pays, poursuit le rapport. La perception que le parti ne se soucie pas des personnes est en train de pénaliser ses candidats au niveau fédéral, notamment pendant les campagnes présidentielles. C’est une déficience majeure qui doit être résolue. » À l’époque, le Grand Old Party (GOP) était bien loin de se douter qu’une frange de son électorat, hostile à l’Amérique multiculturelle incarnée par Barack Obama et à ses positions sur le mariage gay ou l’assurance santé, se retrouverait dans les discours xénophobes de Donald Trump.

Côté démocrate, la bataille pour les minorités fait rage. En la matière, Hillary Clinton est la plus efficace pour le moment. Elle bénéficie en particulier de la bonne image de son mari au sein de la communauté noire (12 % de l’électorat en 2016, à égalité avec les Hispaniques) et des bourdes de Bernie Sanders, qui, à une question sur la race lors d’un débat en mars, a répondu maladroitement que, « quand on est blanc, on ne sait pas ce que cela signifie de vivre dans un ghetto, on ne sait pas ce que c’est d’être pauvre ». Ces propos, qui donnaient l’impression d’associer pauvreté et race, ont déclenché des commentaires assassins sur les réseaux sociaux.

Les transformations du corps électoral américain « favorisent les Démocrates. Je pense qu’on peut le dire sans peur de se tromper », assure Ruy Teixeira, chercheur au sein du groupe Center for American Progress et coauteur d’un rapport sorti en février sur le vote des minorités. Le chercheur et ses collègues ont imaginé plusieurs scénarios de vote fondés sur les taux de participation enregistrés lors d’élections antérieures pour tenter de prédire le résultat du scrutin de novembre. Leurs conclusions sont sans appel : une victoire républicaine en 2016 passerait nécessairement par une mobilisation de l’électorat blanc plus importante qu’en 2012.

Cela reste possible. Donald Trump a prouvé qu’il pouvait attirer de nouveaux électeurs avec sa rhétorique enflammée. En outre, le taux d’abstention des Hispaniques et des Asiatiques, les groupes électoraux en plus forte croissance, demeure élevé (bien qu’en recul sur les deux dernières élections). En 2012, 64 % des électeurs blancs non hispaniques se sont rendus aux urnes, contre 48 % pour les Hispaniques et 47 % pour les Asiatiques, selon Pew. Mais, si rester cantonné à l’électorat blanc peut être une stratégie gagnante à court terme pour le parti républicain, celui-ci perdrait cet avantage sur les Démocrates lors de l’élection de 2028 ou de 2032, compte tenu du déclin de cette population.

« Ces changements démographiques auront des conséquences importantes sur les futures élections, estime Ruy Teixeira. Dans tous les cas, les partis ne pourront plus avoir une stratégie unidimensionnelle. Ils ne peuvent plus raisonner en termes de “ce groupe ou un autre”, mais plutôt “ce groupe et un autre”. La démographie n’est pas une fatalité. Elle engendre des changements de stratégie. Je ne pense pas que les partis resteront immobiles. »

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