Mobilisations : Qui se bat contre quoi ?

Les prochaines semaines s’annoncent chargées, avec un thème récurrent : la lutte contre un recul des droits sociaux.

Patrick Piro  et  Erwan Manac'h  • 27 avril 2016 abonné·es
Mobilisations : Qui se bat contre quoi ?
© SIMON GUILLEMIN / HANS LUCAS

Salariés du public comme du privé, « ubérisés », intermittents ou retraités… La plupart des secteurs d’activité entrent dans une phase critique de mobilisation. Inventaire des conflits en cours.

Tous contre la loi travail

Les concessions distillées au compte-gouttes par le gouvernement n’ont pas éteint la mobilisation contre la loi travail. L’intersyndicale continue de réclamer le retrait pur et simple du texte, dont la philosophie même – faire primer les accords d’entreprise sur la loi – pose problème. Comme depuis le début du mouvement, des syndicalistes de terrain ont pris l’initiative pour dépasser les centrales, jugées trop timorées. Un appel « On bloque tout » a été lancé pour « confirmer l’ancrage de la grève [et] préparer sa généralisation ». Il préconise notamment de s’appuyer sur les assemblées de Nuit debout, comme le mouvement des retraites de 2010 s’était appuyé sur des assemblées interprofessionnelles.

Ils ne sont pas les seuls à défendre l’idée d’un blocage de l’économie. La CGT du groupe Total soutient « une radicalisation du mouvement » avec fermeture des raffineries les jours de grève. Attac envisage des actions tournées vers le Medef pendant l’examen du texte à l’Assemblée, du 3 au 12 mai, et Sud-Solidaire a lancé l’idée d’un référendum organisé en juin dans un millier d’entreprises pour montrer l’opposition à la loi travail.

Les cheminots contre la prime au moins-disant social

La tension devrait monter à la SNCF d’ici à la fin juin, date d’entrée en vigueur d’un « décret socle » devant fixer – sauf accord entre patronat et salariés – les nouvelles règles sociales pour les 150 000 cheminots. Le gouvernement veut aligner leurs conditions de travail et de rémunération avec celles des 5 000 travailleurs des compagnies privées, pour préparer l’ouverture à la concurrence en 2020.

La durée de travail doit être allongée et les conditions du repos durcies, ce qui a au moins contribué à unir les syndicats de -salariés, Unsa et CFDT compris, dans un appel à la grève le 26 avril. SUD Rail a signé un appel distinct, sans retenir la grève reconductible qu’il avait d’abord envisagée, pour insister sur le lien entre cette mobilisation et le projet de loi travail, ce que se refusent à faire les autres centrales syndicales.

Des paysans contre « ce monde-là »

La Confédération paysanne, en lutte contre la destruction des exploitations et des ressources naturelles, participe naturellement à Nuit debout, aux mobilisations contre la loi travail ou à la résistance de Notre-Dame-des-Landes. « “Non à l’aéroport et à son monde”est un bon résumé de ma position », souligne Laurent Pinatel, porte-parole du syndicat, actuellement en campagne contre le traité Tafta et pour l’accès de tous à une alimentation de qualité. « Mieux répartir les 10 milliards d’euros de la PAC dans ce but réglerait aussi en partie la crise de l’élevage. »

Les hôpitaux contre la casse du service public

La pression budgétaire ne laisse aucun répit aux professionnels de santé : 3 milliards d’euros d’économie, 22 000 suppressions d’emploi et 16 000 lits en moins dans les hôpitaux entre 2015 et 2017. La dégradation des conditions de soins et les inégalités territoriales risquent d’être encore aggravées par la mutualisation des services au sein des « groupements hospitaliers de territoire » qui doivent être mis en place avant le 1er juillet 2016 en vertu de la loi Santé votée l’année dernière. Les agents des hôpitaux de la région parisienne (AP-HP) combattent aussi une réorganisation du temps de travail qui doit entrer en vigueur en septembre.

Les chômeurs s’attendent au pire

Les négociations entre les syndicats de salariés et le patronat pour l’assurance chômage se sont ouvertes en février dans un climat d’extrême tension. Le Medef, soutenu par des déclarations du gouvernement, envisage de baisser les allocations de façon dégressive (comme cela existe déjà à Mayotte). Faute d’accord avant l’expiration de la convention Unedic, le 30 juin, le gouvernement aura la main pour légiférer.

Les intermittents en état d’alerte

Dans le cadre de ces négociations, le Medef a livré le 24 mars un cadrage budgétaire qui laisse présager une coupe brutale dans le régime des intermittents du spectacle. Il vise 185 millions d’euros d’économies immédiates et 400 millions d’ici à 2020 (voir p. 20). La mobilisation a commencé par des assemblées générales et des occupations de lieux culturels dans toute la France et devrait s’amplifier jusqu’à la fin des négociations, en juin, voire après.

Les enseignants contre la loi collège

Classes fermées, professeurs non remplacés, autonomisation des collèges : les raisons de la colère sont multiples dans l’éducation. Les enseignants se concentreront dans les prochains mois contre la réforme du collège, qui doit entrer en vigueur en septembre et « ne se passe bien nulle part », selon Roland Hubert, co-secrétaire national du Snes FSU. Une intersyndicale large envisage des journées de mobilisation nationales et des grèves des conseils de classe ou des examens. En attendant, les enseignants renforcent les cortèges contre la loi travail.

Les taxis contre l’ubérisation

La création d’un fonds de garantie pour racheter les licences n’a pas fait disparaître la grogne des taxis. Des blocages se sont poursuivis à Toulouse, et un début de convergence se dessine à la Nuit debout parisienne. Des groupes de travail doivent plancher, d’ici à la fin juin, sur le renforcement des contrôles des VTC fraudeurs et une signalétique permettant aux usagers de les identifier.

Les syndicalistes contre les répressions

Un grand rendez-vous est prévu « contre la criminalisation de l’action syndicale » le 27 mai, date du jugement des six salariés d’Air France dans l’affaire des chemises arrachées. Les neuf salariés de Goodyear condamnés le 12 janvier à neuf mois de prison ferme poursuivent de leur côté un tour de France pour faire de leur cas un exemple. Des comités de soutien se créent partout en France en attendant leur procès en appel, les 19 et 20 octobre.

Les retraités pour leur pouvoir d’achat

Neuf organisations de retraités poursuivent une mobilisation commune entamée en 2014 pour une amélioration de leur pouvoir d’achat, grevé depuis 2013 par le gel des pensions. -L’intersyndicale, qui va de la CGT aux cadres de la CFE-CGC (à l’exception de la CFDT), doit rencontrer le ministre des Finances, Michel Sapin, le 3 mai, avant une nouvelle journée d’action prévue le 9 juin. Plusieurs syndicats de retraités ont annoncé leur présence dans les cortèges contre la loi travail.

Politique
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