Philosophie et tartuferie

Sébastien Fontenelle  • 6 avril 2016 abonné·es

La presse et les médias dominants, toujours empressés d’entretenir dans l’époque une constante anxiété antimusulmane, se sont évidemment fait un devoir de rapporter cette semaine les propos d’Élisabeth Badinter sur ce qu’ils appellent « la mode islamique ».

En de tels cas, cette excellente femme est systématiquement présentée par les journalistes pétri(e)s de servilité qui lui servent la soupe comme « la philosophe Élisabeth Badinter ». Problème : cette appellation est incomplète, puisque, en effet, l’intéressée n’est pas que cela. Dans la vraie vie, elle est aussi, et surtout, l’une des principales actionnaires du groupe Publicis – dont elle préside depuis vingt ans le conseil de surveillance.

Et l’oubli systématique du rappel qu’elle exerce cette dernière activité est regrettable, car le port de cette double casquette n’est pas tout à fait sans conséquence. Plus précisément, il arrive parfois, semble-t-il, que la businesswoman éprouve un peu de difficulté à se conformer complètement aux fiers préceptes qu’édicte la penseuse.

Ainsi, Élisabeth Badinter, philosophe, n’écoutant que les convictions qui lui ont naguère fait dire (liste non exhaustive) qu’« en dehors de Marine Le Pen plus personne ne défend la laïcité » ou qu’« il ne faut pas avoir peur de se faire traiter d’islamophobe », n’hésite pas à déclarer que les marques de vêtements qui vendent par exemple des hijabs sont « irresponsables », qu’elles font « d’un certain point de vue la promotion de l’enfermement du corps des femmes », et qu’il convient par conséquent de procéder – c’est selon elle « la seule réponse » possible à la provocation consistant à s’adresser à une clientèle mahométane – à leur « boycott ».

Mais, dans le même temps, Élisabeth Badinter, présidente du conseil de surveillance de Publicis, paraît endurer sans s’offusquer trop bruyamment que ce groupe œuvre, avec d’autres prestataires, à « améliorer » l’« image » de l’Arabie saoudite « dans l’Hexagone » : selon le magazine Challenges, en effet – seul à se pencher, jusqu’à présent, sur cette intéressante information [1] –, « Publicis assure […] un service de relations presse auprès du ministre » saoudien « des Affaires étrangères, Adel al-Jubeir, lorsqu’il se rend en France. »

Adoncques, il convient d’y insister un peu lourdement,* il semblerait que le groupe d’Élisabeth Badinter, plutôt que de le « boycotter », travaille là, et à la fin toute spéciale de lui « redorer » le blason, pour un pays où Amnesty International dénonce régulièrement des atteintes répétées aux « droits humains »*, et dans lequel les femmes, en particulier, sont intégralement soumises aux règles d’airain du wahhabisme – et cela pourrait, certes, être signalé, fût-ce très furtivement, au détour des interviews où elle est constamment invitée à donner son avis corrosif sur l’islam et ses fidèles.

Mais il est vrai aussi que la mention que sa philosophie se mélange éventuellement de quelques volumes de tartuferie jetterait une lumière assez crue sur le niveau d’exigence des fidèles servant(e)s de presse qui en font l’inlassable promotion.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

Temps de lecture : 3 minutes