Un climat de fin de règne

Malgré les tentatives du gouvernement d’endiguer la contestation sociale, son électorat s’est désormais définitivement détourné.

Michel Soudais  • 6 avril 2016 abonné·es
Un climat de fin de règne
© Erwan Manac’h

Place à la confrontation sociale. En deux jours, le gouvernement, qui pensait pouvoir la contenir avec l’état d’urgence, a dû déchanter. Le 30 mars, François Hollande est contraint de renoncer à sa réforme de la Constitution. Il avait imaginé qu’en piochant quelques mesures dans les boîtes à idées de la droite et de l’extrême droite il prendrait cette opposition à revers, la désarmerait et reconstituerait par l’appel à l’unité nationale une majorité autour de sa personne. Faute d’accord entre l’Assemblée nationale et le Sénat sur la déchéance de nationalité, c’est un échec.

Le 31 mars, entre 390 000 personnes, selon la police, et 1,2 million, selon les syndicats organisateurs, manifestent en France pour exiger le retrait du projet de loi El Khomri. Depuis l’opposition au mariage homosexuel, aucune réforme n’avait fait descendre autant de monde dans la rue. La comparaison s’arrête là, puisque cette fois le gouvernement doit faire face à l’opposition de sa base électorale, politique et sociologique.

Si 56 % des personnes interrogées dans un sondage BVA pour Orange et iTélé publié dimanche [1] déclarent « approuver » la journée d’action du 31 mars pour réclamer le retrait du projet de loi El Khomri, la mobilisation est très soutenue dans les rangs de la gauche. Les sympathisants des partis à gauche du PS l’approuvent à la quasi-unanimité (95 %, un score rarement vu dans ce type d’enquête), l’approbation est aussi de 53 % chez les sympathisants socialistes, quand les sympathisants de droite la rejettent à 66 %. Sociologiquement, le soutien est massif chez les ouvriers (70 %), les moins diplômés (65 %) et les personnes issues des foyers les moins aisés (68 %) ; un peu moins chez les cadres (55 %) et les plus -diplômés (53 %).

Candidat, François Hollande voulait faire de la jeunesse une priorité de son mandat. « Nous devons faire en sorte que la jeunesse n’ait pas besoin de s’indigner ou de se révolter, mais de trouver sa place », déclarait-il à Nantes, en septembre 2011. Après quatre ans de sa présidence, l’échec est patent. Les jeunes sont les plus enclins à soutenir la mobilisation : 72 % des moins de 35 ans l’approuvent. Nombreux dans les cortèges, ils constituent aussi le gros des troupes dans les rassemblements de Nuit debout, ce mouvement apparu au soir du 31 mars.

Pour tenter d’enrayer la contestation, les réponses du gouvernement, pris en étau entre les attentes de son électorat et ses engagements européens, apparaissent dérisoires. Manuel Valls s’est dit « prêt à regarder » certaines propositions de l’Unef. Le Premier ministre mise sur les organisations de jeunesse – les ministres du Travail, de l’Éducation et de la Jeunesse devaient les recevoir mercredi – contre la CGT et FO. Mais il exclut toujours de retirer une loi que Myriam El Khomri persiste à présenter comme « juste et nécessaire ». Si les concessions susceptibles d’être accordées aux jeunes ont peu de chance de faire oublier les reculs sociaux du texte, il est plus probable qu’elles confortent une contestation qui, depuis le 9 mars et les aménagements cosmétiques du texte consécutifs à cette première journée d’action, s’est radicalisée en se globalisant. « Cette loi n’est qu’une branche d’un arbre immense qu’il faut abattre », entend-on désormais place de la République, à Paris, dans les assemblées de Nuit debout.

Quel que soit l’avenir de ce mouvement d’occupation des places publiques, la contestation sociale, dont il est le symptôme le plus aigu, aura des conséquences politiques en 2017. Qu’il lâche du lest ou qu’il finisse par retirer son projet, il sera très difficile pour François Hollande, et les siens, de récupérer les voix que la loi travail a fait fuir. Dans les manifestations, le PS est devenu une cible : « P comme pourris, S comme salauds, à bas, à bas le Parti socialo », scandaient des manifestants à Nantes. Manuel Valls peut bien faire mine de croire, dans le JDD (3 avril), que son camp, avec François Hollande, pourra « convaincre de nouveau » en dépit de son bilan – « Je ne pense pas qu’on gagne une présidentielle sur un bilan, ni qu’on la perde sur un bilan » –, il n’y croit guère. Et songe déjà à l’étape suivante, où il jouerait le premier rôle : « Dans un paysage politique décomposé, il faudra recomposer », « tendre la main » à la droite encore et encore, lance-t-il, entérinant la rupture avec sa gauche, qui est aussi la gauche.

La contestation ne fait pas non plus les affaires des partisans d’une primaire. C’est vrai de la primaire de « toute la gauche » : « Le climat politico-culturel rend infaisable cette bonne idée », admet lucidement Daniel Cohn-Bendit (Le Monde, 5 avril), tant le fossé créé par les controverses sur la déchéance de nationalité, l’accueil des réfugiés et le code du travail rend inimaginable la constitution d’un socle commun. Mais c’est aussi le cas pour les tenants d’une primaire sans le PS, dont on imagine mal qu’elle attire les révoltés de Nuit debout. Leurs questionnements politiques sont, ils le disent, bien éloignés de ceux qui agitent les partis en vue de 2017.

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