EELV : Le congrès de la dernière chance

Départ de cadres, affaire Baupin, disparition de leur groupe à l’Assemblée nationale : c’est sur fond d’une profonde crise interne que les écologistes renouvellent leurs instances.

Patrick Piro  • 25 mai 2016 abonné·es
EELV : Le congrès de la dernière chance
© AURÉLIEN MORISSARD/Citizenside/AFP

Pour une fois, ça ne bruisse pas tous azimuts autour de l’arithmétique des motions, des considérations tactiques sur les fusions, des spéculations sur la prise de pouvoir par tel courant. Accablé par une succession de déboires, Europe Écologie-Les Verts ouvre la première étape de son congrès 2016 entre découragement et volontarisme. Samedi 28 mai, les assemblées régionales voteront sur les cinq motions en présence, mais les confrontations sur l’orientation politique et le renouvellement des instances se résumeront à leur plus basique expression : il faut sauver l’écologie politique.

« C’est un moment décisif, le parti est dans un tel état de déliquescence », observe Élise Lowy, qui mène la motion « L’imprévu » (18 % des signatures de soutien). « C’est le congrès de la dernière chance, il faut procéder à une reconstruction complète », commente -Sandrine Rousseau, pour« L’écologie en commun » (20 %). « Se réinventer ou mourir », résume à l’identique Julien Bayou, soutien de la motion « Réinventer, horizon 2025 », majoritaire (39 %) et qui compte notamment l’adhésion de Cécile Duflot.

La dégringolade s’est amorcée à l’automne dernier avec le départ de plusieurs cadres, dont François de Rugy et Jean-Vincent Placé, -présidents des groupes écologistes à -l’Assemblée nationale et au Sénat. Forte hémorragie symbolique, que la direction d’EELV avait brocardée en -« aventures » individuelles – une clarification, in fine, car les partants ne supportaient plus la ligne majoritaire anti-gouvernementale du parti. La fracture s’était élargie en décembre, lors des régionales, avec le départ de Barbara Pompili notamment. Cohérent : la coprésidente du groupe des députés écologistes était une très proche des premiers « migrants ».

En revanche, c’est la stupéfaction qui a accueilli la sortie d’Emmanuelle Cosse, débauchée en février dernier par François Hollande : l’abandon de poste d’une secrétaire nationale, pour entrer dans un gouvernement qu’elle critiquait vertement quelques mois auparavant, c’est une première.

Début mai, c’est l’affaire Baupin. Si les accusations de harcèlement sexuel portées par huit femmes contre le député ont été perçues comme une salutaire libération de la parole au sein du parti, c’est un coup de projecteur national dont les militants se seraient bien passés. Et puis la décision du député EELV de démissionner de la vice–présidence de l’Assemblée nationale, avec « mise en retrait » de son groupe, a servi de détonateur à la dernière infortune politique en date pour EELV, sur une bisbille de répartition des postes laissés vacants : six députés ont décidé de quitter le groupe écologiste – Éric Alauzet, Christophe Cavard, François de Rugy, François-Michel Lambert, Véronique Massonneau et Paul Molac, pour rejoindre le groupe des élus socialistes. Pas une grosse surprise sur le fond : ils soutiennent globalement la politique du gouvernement. Mais la conséquence, pour les écologistes réduits à dix élus, c’est la disparition de leur groupe (il faut au moins quinze élus), qui ouvre droit à des prérogatives politiques et techniques au sein du Palais Bourbon.

Pour Cécile Duflot, le coup est signé François Hollande, taclé sévèrement. « L’écologie libre, aujourd’hui, fait l’objet d’une tentative d’assassinat organisée de manière délibérée par le président de la République, qui n’a plus qu’une obsession : sa campagne présidentielle [^1]. »

Dans ce contexte, les motions en compétition pour le congrès ne se départageront pas sur leur credo, appelant toutes, avec leurs mots, à une vigoureuse mise à plat – démocratie interne, transparence et autonomie financière, lien avec la société. La volonté de présenter un candidat écologiste au premier tour de la présidentielle de 2017 est également partagée, bien que le flou reste total sur la candidature potentielle – Cécile Duflot, Nicolas Hulot, voire Noël Mamère ?

Seule la liste Europa (18 % de signataires), autour d’amis de Daniel Cohn-Bendit, laisse la porte entrouverte à un retour au gouvernement : nouveauté notable, les quatre autres – « Réinventer », « L’imprévu », « Écologie en commun », « Tic-tac » (5 %) – appellent à une rupture avec le gouvernement, position que n’a jamais officiellement endossée le parti, en dépit de désaccords fréquents. « Nous avons sous-estimé en permanence nos divergences sur ce sujet », regrette Sandrine Rousseau. Ce manque de clarification s’est payé dès le lendemain du dernier congrès EELV, en 2013, avec l’éclatement de la synthèse majoritaire en raison de la montée de l’opposition à la politique de l’exécutif national. Fin mars 2014, Cécile Duflot et Pascal Canfin refusaient de poursuivre la collaboration gouvernementale sous la houlette de Manuel Valls. Cette décision non concertée avec les instances du parti marque le début d’un lent clash interne qui a conduit à la série de départs inaugurée en septembre dernier.

Comme souvent, ce sont donc des oppositions de style et de personnalités qui devraient guider les adhérents [^2] à l’heure de départager les motions, avant la deuxième phase du congrès, qui tentera une synthèse majoritaire à Pantin (93) le 11 juin. « Réinventer » met en avant la profondeur du big-bang qu’elle entend provoquer pour renflouer la maison écolo : un rétroplanning qui porte jusqu’à « l’horizon 2025 ». EELV deviendrait un « parti-mouvement », beaucoup plus impliqué sur le terrain. « Exemple, participer activement à la mobilisation pour le “non” au référendum sur le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes le 26 juin », illustre Julien Bayou.

« L’Écologie en commun », qui rassemble une partie de la gauche du mouvement, n’entend pas laisser croire que Cécile Duflot (« Réinventer ») va naturellement s’imposer alors que ses principaux opposants ont quitté le bateau. « C’est une erreur de penser qu’il faut nous rallier derrière une personnalité pour nous sauver, réplique Sandrine -Rousseau. Nous devons agir collectivement. » Des observateurs laissent néanmoins entendre que ces deux dernières motions pourraient fusionner à Pantin. Ce qui fait bondir « L’imprévu », l’autre fraction de la gauche alliée aux environnementalistes (Yves Cochet, etc.). « Veut-on faire croire que ceux qui sont aux manettes depuis dix ans peuvent refonder le parti ?, gronde Élise Lowy. Leur bilan politique pose question, il a oscillé entre le rapprochement puis la prise de distance avec le PS, le gouvernement, Mélenchon, Hulot ! Quelle confiance accorder à cette équipe ? Ce congrès doit être celui de la recrédibilisation. »

Le rapport de force établi par les signatures de soutien doit logiquement conduire à l’élection de David Cormand au secrétariat national (il assure actuellement l’intérim après le départ d’Emmanuelle Cosse). « Méfions-nous cependant des évidences, met en garde Patrick Farbiaz (“L’écologie en commun”). L’écologie est parvenue à une fin de cycle, et, dans une situation aussi catastrophique, bien malin qui peut lire ce qui se passe dans la tête des adhérents… »

[^1] RMC et BFM-TV, lundi 23 mai.

[^2] 5 775 à jour de cotisation avant le congrès. Ils étaient près de 16 000 en 2010.

Politique
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