Eyal Sivan : « Le boycott culturel d’Israël est le plus important »

Le cinéaste israélien Eyal Sivan et la productrice Armelle Laborie analysent ici la perception de la campagne BDS en Israël.

Denis Sieffert  et  Margaux Mazellier  • 11 mai 2016 abonné·es
Eyal Sivan : « Le boycott culturel d’Israël est le plus important »
© MENAHEM KAHANA/AFP

On connaît Eyal Sivan, cinéaste, auteur avec Michel Khleifi de Route 181 en 2003. Il travaille actuellement à un essai sur le boycott, en collaboration avec la productrice Armelle Laborie. Tous deux nous donnent ici un aperçu de leurs réflexions.

Quel est l’impact aujourd’hui en Israël de BDS, notamment dans le discours médiatique et politique ?

Eyal Sivan Certains ont parlé de « tsunami ». Il est intéressant de constater que l’affaire du boycott a pris de l’importance dans le discours politique israélien au moment où l’accord entre les États-Unis et l’Iran a été signé. Il faut toujours à ce pays une menace existentielle pour assurer l’unité nationale, et le boycott a pris le relais de l’Iran.

Armelle Laborie C’est devenu à ce point important qu’en mars 2016 une conférence contre le BDS a réuni des personnalités politiques, des universitaires, des artistes et des spécialistes du renseignement. Et c’est à la fin de cette conférence que le ministre des Transports, Yisrael Katz, a déclaré qu’il envisageait l’élimination ciblée des militants du BDS.

E. S. Aujourd’hui, en Israël, BDS, ça sonne un peu comme Daech…

Face à cette surenchère, il ne se trouve personne pour dire, puisque BDS est une menace : « Essayons de régler le problème palestinien » ?

E. S. Une partie de la gauche sioniste reconnaît que, s’il y a BDS, c’est qu’il doit y avoir un problème palestinien. Mais la réponse qu’ils apportent, c’est « négocions ! ». Sans objectifs ni limites.

C’est toujours la fameuse phrase de Shamir en 1991 à Madrid : « Nous négocierons le temps qu’il faut pour qu’il n’y ait plus rien à négocier »

E. S. C’est cela ! Et ils ne proposent pas de changer de politique. L’autre argument de ce centre-gauche, c’est que BDS va renforcer la droite. On retrouve cet argument dans les chancelleries européennes : « Il ne faut pas crisper Israël. » Comme si Israël avait besoin de BDS pour se crisper ! Le problème, c’est que les résolutions internationales ne sont pas appliquées. Si elles l’étaient, il n’y aurait pas besoin de BDS.

Vous soulignez l’importance du boycott culturel. Cela fait débat ici. Pourquoi boycotter par exemple des cinéastes critiques à l’égard du gouvernement israélien ?

E. S. Quelqu’un l’a très bien expliqué, c’est Arye Mekel, directeur des Affaires culturelles. En 2012, il a déclaré au New York Times : « Nous envoyons à l’étranger des romanciers et autres écrivains connus, des troupes de théâtre, nous organisons des expositions… Ainsi, nous montrons un visage plus sympathique d’Israël, histoire d’en gommer l’image belliqueuse. » C’est une stratégie assumée qui met en avant certains artistes critiques, lesquels se prêtent au jeu. Certains sont partisans du boycott des produits qui proviennent des colonies. Cela fait même très chic de refuser de boire un vin du Golan ou des Territoires dans un restaurant de Tel Aviv. Mais il faut savoir que 1 % seulement des exportations israéliennes viennent des colonies. Le préjudice est donc minime. C’est pour ça que la décision de l’Union européenne d’étiqueter les produits venant des colonies est ridicule.

Selon vous, le boycott important serait donc le boycott culturel…

E. S. Absolument. Il faut savoir que, dans tous les conseils d’administration d’université, il y a des représentants de l’armée et du renseignement. Il y a une collaboration étroite entre l’armée et l’université. Les plus hauts responsables universitaires ont tous approuvé l’offensive contre Gaza. Comme la plupart des écrivains connus à l’étranger.

A. L. Et cela a engendré une discrimination supplémentaire. Après Gaza, les universités ont félicité les soldats et leur ont promis des avantages quand ils reprendraient leurs études. Or, cela se fait évidemment aux dépens des Arabes israéliens, qui, eux, ne font pas leur service militaire. Les métiers de l’excellence leur sont encore un peu plus inaccessibles. Le fameux high-tech israélien, si réputé, mais très lié à l’industrie de défense, leur est fermé. L’institution universitaire est donc totalement impliquée dans la politique israélienne.

E. S. À propos de certains cinéastes ou écrivains qui acceptent un rôle d’ambassadeurs, Israël a inventé un nouveau statut : celui de dissidents officiels. Ils acceptent d’autant plus de jouer le jeu que cette culture d’exportation, la leur, celle qui est soutenue par l’État, n’a pas de public en Israël. Le cinéma que vous voyez est celui qui vous ressemble. C’est votre miroir. Cela correspond à une revendication d’Israël d’apparaître comme appartenant au monde occidental, mais c’est aussi une façon d’exclure la culture juive orientale. D’un côté, ce pays revendique une « normalité occidentale », « démocratique », mais, de l’autre, il revendique une exceptionnalité quand il s’agit d’appliquer le droit international.

A. L. C’est ce qu’on appelle, en psychologie, une injonction contradictoire. La culture d’exportation est au centre de cette injonction. C’est pourquoi elle est soutenue par l’État.

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