« Julieta », de Pedro Almodovar ; « Le Parc », de Damien Manivel (Acid)

Christophe Kantcheff  • 17 mai 2016
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« Julieta », de Pedro Almodovar ; « Le Parc », de Damien Manivel (Acid)
© Manolo Pavón

« Julieta », de Pedro Almodovar (Compétition officielle)

Longtemps le nom de Pedro Almodovar avait pour synonymes l’explosion des affects, la movida, une élégante et provocante idée du minoritaire. Puis le cinéaste espagnol s’est assagi, transformant sa fougue artistique en sensibilité canalisée mais intense, comme dans Parle avec elle (2002). Julieta, présenté en compétition officielle, témoigne d’une nouvelle phase permettant d’affirmer qu’il y a plus ennuyeux pour Almodovar que la présence de son nom dans l’affaire des Panama papers : l’embourgeoisement esthétique.

Après Toni Erdmann (voir ci-contre), le film allemand de Maren Ade, pour l’instant le sommet de cette compétition, qui traite du rapport père-fille avec mille qualités de cinéma, Julieta, dont le thème est la relation mère-fille, paraît terriblement corseté, désincarné.

Le film fonctionne sur un flash-back. Julieta, qui n’a pas vu sa fille Anta depuis 12 ans, disparue sans explication, se met à écrire leur histoire depuis le début, à partir de la rencontre avec le père de celle-ci. Julieta n’est pas un écrivain et il est fort probable que son texte soit écrit de manière littérale, sans souffle, lançant des pistes sans forcément les exploiter. On jurerait qu’Almodovar a voulu être fidèle à la probable forme de ce texte. Par exemple, juste avant le moment où Julieta et son futur mari vont se rencontrer, dans un train de nuit, la jeune femme est abordée par un homme, qu’elle prend pour un dragueur, mais qui se suicide quelques minutes plus tard. Julieta est prise d’un sentiment de culpabilité. Il faut aussi comprendre par cette scène qu’une sorte de malédiction pèse sur elle.

Le film est tout à cette aune : théorique. Pedro Almodovar ne montre pas, il développe un discours lourdement psychologisant sur les difficultés des relations amoureuses et de l’amour filial. Même la fin de la mère de Julieta, malade, que le cinéaste par le passé aurait su raconter avec délicatesse, laisse le spectateur entièrement sec.

Pratiquant un cinéma qui se gorge de mots, le cinéaste multiplie les couleurs vives et les étoffes soyeuses. Ce n’est pas nouveau. Mais là où, naguère, son excentricité visuelle résonnait avec la vitalité de ses personnages, il n’y a aujourd’hui plus d’autre place que pour le décoratif luxueux. Le mauvais goût pétulant des premiers films s’est transformé en bon goût apathique. Bref, Julieta se situe au croisement de Vogue et de Elle. Du cinéma de magazine…

« Le Parc », de Damien Manivel (Acid)

© Politis
Crédit : D.R.

Le film commence avec la même retenue dont font preuve les deux jeunes personnages, un garçon et une fille. C’est leur premier rendez-vous, sur un banc, dans un parc. Le plan est cadré large : On est aussi loin d’eux qu’eux gardent, pour l’instant, leurs distances. Ils vont faire lentement connaissance, timidement, en se posant des questions simples : Où habites-tu ? Quel métier font tes parents ?

Pour son 2ème long-métrage, le Parc, présenté à l’Acid, Damien Manivel filme tout d’abord une rencontre, un apprivoisement réciproque, un moment de séduction douce. Ils sont maladroits, peu inspirés dans leurs réponses – leur esprit et leur cœur vagabondent sans doute déjà ailleurs. La seule « excentricité » vient d’elle, Naomie (Naomie Vogt-Roby), quand elle se met en équilibre sur les mains et qu’elle invite Maxime (Maxime Bachellerie) à en faire autant, lui proposant son aide.

Ils ne quittent pas le parc, qui finit par sembler immense. Non seulement parce qu’ils le parcourent en tous sens, mais parce qu’il semble contenir toutes les promesses de ce couple naissant, comme le « vert paradis » baudelairien réunit celles de l’enfance. Des caresses affleurent, des étreintes, un baiser, Maxime enlève son tee-shirt pour que Naomie puisse respirer sa peau.

Les lumières d’été déclinent. Le garçon pense à rentrer alors que la fille a tout son temps. Premier écart. Ils se séparent mais on imagine qu’ils se retrouveront vite. Mais le film change d’aiguillage, et prend dès lors une direction d’autant plus passionnante qu’elle est inattendue.

Dans un premier temps, le parc disparaît non du cadre mais de l’horizon : Naomie se focalise sur son téléphone portable car elle a engagé une conversation a posteriori avec Maxime. Celle-ci tourne au fiasco et au désespoir pour la jeune fille, un désespoir d’autant plus expressif que le cinéaste filme en plan-séquence ce long moment, cadré serré sur son visage, tandis que le texte des sms apparaît en surimpression.

Enfin le film prend une dernière orientation, qui touche au fantastique, au merveilleux. La nuit tombée, Naomie est réveillée par le gardien du parc (Sobere Sessouma), alors qu’elle s’était endormie, dans un sentiment d’abandon. Tous deux vont entamer une randonnée très singulière dans le parc, qui prend des allures de forêt épaisse, mystérieuse, avec un long cours d’eau qu’ils descendent sur une barque, et des cris étranges d’animaux. La façon dont Naomie réagit à sa déception amoureuse est aussi une belle idée de mise en scène plus irréelle qu’absurde. Le Parc réserve bien des surprises, dont un basculement poétique progressif.

Temps de lecture : 5 minutes
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