Donner du pouvoir aux salariés

Grande figure du syndicalisme italien, Bruno Trentin livre une analyse novatrice des relations de travail à l’heure du capitalisme mondialisé.

Olivier Doubre  • 15 juin 2016 abonné·es
Donner du pouvoir aux salariés
© Giuseppe Ciccia/NurPhoto

« La liberté a toujours été, en fait, le véritable enjeu du conflit social », écrit Bruno Trentin en ouverture du premier texte de ce recueil d’essais passionnants. Secrétaire général durant les années 1990 de la CGIL (l’équivalente italienne de la CGT de par son histoire liée au Parti communiste), après avoir été longtemps secrétaire des métallos CGIL, ce militant exemplaire n’a cessé de s’interroger sur la centralité du travail dans les démocraties modernes et, surtout, sur l’action syndicale au sein des entreprises.

Figure de la gauche italienne, né en France en 1926 dans une famille antifasciste exilée, engagé dans la Résistance à 15 ans alors qu’il venait de rentrer en Italie, Bruno Trentin a, sur la fin de sa vie, développé une œuvre théorique de réflexion sur le mouvement ouvrier, et sur le rôle de la gauche en général, dans les sociétés de capitalisme avancé.

Il y a quelques années, a été traduit en français son maître livre, La Cité du travail, une longue réflexion sur les erreurs de la gauche face aux transformations du fordisme dans le capitalisme et sa croyance dans le progrès industriel [^1]. Avec la traduction d’un nouvel ouvrage de cet auteur, somme toute peu connu ici, la France paraît donc de plus en plus intéressée par ces analyses pour le moins hétérodoxes chez un syndicaliste issu du mouvement communiste.

Composé d’une demi-douzaine de textes, ce livre part du constat qu’il n’est pas possible, dans une entreprise, de confier sa gouvernance à un collectif, en particulier à l’assemblée de ses salariés. Et ce en dépit des espoirs et des rêves de nombreux militants syndicalistes. Toutes les tentatives en ce sens, des quelques expériences autogestionnaires au modèle coopératif, ont échoué ou, pire, dérivé vers un certain autoritarisme, notamment en Europe de l’Est. Néanmoins, le mouvement syndical doit, surtout aujourd’hui, à l’heure de la troisième révolution industrielle, marquée par l’avènement des nouvelles technologies et de la communication immédiate, conquérir pour les salariés un droit à l’information et à la connaissance des grands enjeux concernant leur entreprise. En développant ce type de revendications, insiste-t-il, « il sera possible de faire l’expérience d’une forme de participation aux décisions de l’entreprise, qui ne remplace pas celles que prend en dernière instance le dirigeant entrepreneur ».

Enfin, au-delà de cette revendication du partage de l’information, Bruno Trentin fait sienne, dans un ultime essai, la proposition énoncée par Enrico Berlinguer lors d’une conférence en 1977 – totalement incongrue pour le secrétaire général d’un Parti communiste à l’époque – de renoncer au progressisme productiviste et de s’engager vers une réelle « austérité », ou « sobriété » – on dirait sans doute décroissance aujourd’hui – pour mettre un terme au gaspillage capitaliste, qui ne peut que mener à la ruine de la collectivité. Proposition visionnaire !

[^1] Fayard, 2013, voir Politis n° 1246.

Travail
Temps de lecture : 3 minutes

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