Un amour de la plus belle eau

Avant de disparaître l’été dernier, Solveig Anspach a tenu à achever L’Effet aquatique, un film tendre et drolatique, entre Montreuil et l’Islande.

Christophe Kantcheff  • 29 juin 2016 abonné·es
Un amour de la plus belle eau
© Ex nihilo zik zak filmworks

Solveig Anspach, disparue à 54 ans le 7 août dernier, était une batailleuse. Pour mener à bien ses projets de cinéma, d’abord, dont la singularité signifiait le plus souvent un montage financier difficile – même si elle était aidée en cela par son producteur fidèle, chez Agat films, Patrick Sobelman. Contre la maladie, ensuite, dont elle a repoussé les assauts jusqu’à ses derniers instants pour pouvoir tourner L’Effet aquatique, son film ultime mais non testamentaire.

Avec Back soon (2008) et Queen of Montreuil (2013), L’Effet aquatique forme une trilogie dont la cohérence s’affirme aujourd’hui – chaque œuvre pouvant être vue séparément, même si certains personnages se retrouvent de l’une à l’autre. Un état d’esprit la domine : la légèreté. Non que Solveig -Anspach se soit privée d’aborder des questions sérieuses. L’altérité, la confiance dans la parole donnée, les relations hommes-femmes sont au cœur de L’Effet aquatique. D’une certaine façon, on peut même dire que tous ses films sont féministes, au sens où ils ont non seulement une femme comme personnage principal, mais où celle-ci est vue dans ses fragilités autant que dans ses luttes, intimes ou politiques, que ce soit dans Haut les cœurs !, Louise Michel ou Lulu femme nue. Et c’est encore le cas avec Agathe (Florence Loiret-Caille, toujours impeccable), dans L’Effet aquatique, qui semble fuir une peur qu’elle a en elle-même mais sait aussi bien se défendre.

En outre, ici, parce que le début du film se déroule dans une piscine – la piscine Maurice-Thorez, à Montreuil (Seine-Saint-Denis) –, Solveig Anspach s’est amusée à retourner tous les clichés de la domination masculine, ce qui donne lieu à des scènes hilarantes. Que ce soit la maître-nageuse obsédée sexuelle (Olivia Côte), qui lorgne les maillots de bain « moule-bites », ou la séquence d’autocritique du responsable de la piscine (Philippe Rebbot), alors qu’il y a amené nuitamment deux filles dont l’une a failli se noyer, face à une direction qui ne rigole pas, composée de trois femmes (dont Solveig Anspach en personne).

Il y a aussi une très grande douceur dans L’Effet aquatique, qui passe en particulier par Samir, le grutier rêveur un peu maladroit, amoureux fou d’Agathe. Dans ce rôle, Samir Guesmi est formidable, déployant un talent comique à la Jacques Tati, à la différence que ce ne sont pas les objets qui entraînent son personnage dans des situations délicates, mais son sentiment pour Agathe. Comme dans ce congrès des maîtres-nageurs qui se déroule en Islande, où Samir se fait passer pour un représentant israélien afin de pouvoir suivre Agathe, et où celle-ci, fâchée, l’oblige à -improviser un discours. Sa trouvaille du –« together project », qui consiste à construire une piscine avec les Palestiniens – autrement dit et en interprétant un peu : tout le monde se retrouvera ensemble dans le même bain –, est d’une impayable drôlerie, que la cinéaste glisse ici comme un malicieux clin d’œil.

L’Effet aquatique réunit -l’Islande et Montreuil, les deux ports d’attache de Solveig Anspach. Cette fois-ci, ce sont les Français (Agathe et Samir) qui se rendent dans le pays des elfes et des trolls, où ils rejoignent Anna (Didda Jónsdóttir), qui elle-même avait débarqué en France dans Queen of Montreuil. Si les deux endroits ne se ressemblent pas, la cinéaste les filme avec le même attachement – les images de l’Islande sont magnifiques, celles de la piscine Maurice-Thorez aussi. L’eau en est l’élément commun, ce filtre qui relie les êtres quand ils sont plongés dedans, et dans lequel Agathe et Samir s’apprivoisent.

L’Effet aquatique est ainsi un superbe titre pour un très joli film, qui révèle finalement une certaine vision du monde, tendre et apaisée. C’est un beau cadeau que Solveig Anspach a tenu à nous laisser.

Cinéma
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