2666 : La décrue d’un roman-fleuve

Malgré une scénographie impressionnante, Julien Gosselin place la barre trop haut et peine à transposer l’énorme récit de Roberto Bolaño, 2666.

Gilles Costaz  • 6 juillet 2016 abonné·es
2666 : La décrue d’un roman-fleuve
© Photo : Simon Gosselin.

Créé au Phénix de Valenciennes, 2666 a pu être vu avant ses représentations au festival -d’Avignon, dont il devrait être l’un des moments forts. Il s’agit d’un pari audacieux, à la fois pour son concepteur et metteur en scène, Julien Gosselin, et pour les structures qui se sont impliquées dans l’aventure (le Phénix, l’Odéon, qui donnera le spectacle en septembre à Paris…).

Tout remonte au succès imprévu du spectacle tiré des Particules élémentaires de Michel Houellebecq à Avignon, en 2013. Cet été-là, le festival s’ennuie. Tout à coup, un artiste qui n’a pas 30 ans et sa jeune équipe, issue du Théâtre du Nord, à Lille, réveillent les spectateurs avec un style nerveux et rock’n roll. Rapidement, un certain nombre de directeurs se pressent autour du metteur en scène inconnu et lui disent : « On va vous produire. Qu’aimeriez-vous monter ? » « 2666, de Roberto Bolaño, et cela durera douze heures », répond Gosselin.

Trois ans plus tard, le spectacle est fait. Et il ne devrait pas provoquer le même enthousiasme que la création précédente de cette équipe nommée « Si vous pouviez lécher mon cœur ». 2666 est un énorme roman qui est, en fait, un ensemble de cinq romans. Le Chilien Roberto Bolaño est mort avant d’avoir pu finir son texte et son assemblage. L’ensemble est stupéfiant mais sur plusieurs notes.

Dans le premier chapitre, quatre universitaires européens s’interrogent sur un énigmatique auteur allemand, Archimboldi, dont ils cherchent l’image et les traces. Puis l’on part en compagnie d’un professeur espagnol marqué par Marcel Duchamp, qui vient enseigner au Mexique. Ensuite, à l’occasion d’un combat de boxe et d’un reportage effectué par un journaliste afro-américain, des annales du crime dans une ville mexicaine sont longuement restituées : les victimes sont toutes des femmes, sauvagement abusées et liquidées. Enfin, le dernier volet éclaire la personnalité d’Archimboldi en remontant en Allemagne, pendant la Seconde Guerre mondiale.

À tous les niveaux, -Gosselin place la barre à une hauteur folle. La longueur est démesurée. Et le langage théâtral cherche à rejoindre les formes exploitées par les grands metteurs en scène européens comme Frank Castorf ou Krzysztof Warlikowski : cages de verre roulantes qui sont des scènes à l’intérieur de la grande scène, présence d’un caméraman parmi les acteurs qui envoie des images – le plus souvent en direct – occupant la moitié de l’espace, voix toujours relayée par le micro HF que les acteurs portent collé à leur joue…

Le tout a de la gueule, c’est sûr, mais notre patience n’en atteint pas moins ses limites. Julien Gosselin ne parvient pas à être original à chaque épisode. Peut-on faire fonctionner un acte de plus de deux heures où l’essentiel de l’action est le défilé sur écran de la liste des meurtres perpétrés dans la ville de Santa Teresa ? Ou faire dire l’une des autres parties par une actrice, Caroline Mounier (excellente, au demeurant), filmée en gros plan, tandis que le jeu de ses partenaires et des images parallèles sont accessoires par rapport à la diction pure et simple du texte ?

Avoir voulu conserver les cinq portiques de cette architecture romanesque est sans doute une erreur. L’histoire la plus intéressante est celle de l’écrivain mystérieux (Frédéric Leidgens lui donne une belle incarnation). Elle aurait constitué une matière riche et suffisante. Pourquoi chercher l’exploit avec une totalité écrasante, malgré la classe des acteurs qui se démultiplient en divers rôles, Adama Diop (formidable en bateleur afro–américain), Antoine Ferron, Tiphaine Raffier, Noémie -Gantier ? Souvent, les romans-fleuves sont en décrue une fois sur scène.

Théâtre
Temps de lecture : 3 minutes