Après le Brexit, les Grecs entre ironie et amertume

L’attitude de l’Union européenne après le référendum britannique renforce le camp des eurosceptiques en Grèce.

Angélique Kourounis  • 13 juillet 2016 abonné·es
Après le Brexit, les Grecs entre ironie et amertume
© Photo : LOUISA GOULIAMAKI/AFP

Deux semaines après le référendum britannique, le Brexit est toujours au centre des discussions en Grèce. Pour preuve, ce sondage posant la question qui est dans toutes les têtes mais que personne n’ose vraiment formuler : « Êtes-vous pour ou contre l’organisation d’un référendum comme au Royaume-Uni ? » Malgré les trois plans d’austérité et les sept ans de récession, 54 % des Grecs ont encore répondu par la négative, 38 % par l’affirmative, et 8 % ne se sont pas prononcés. Toujours d’après ce sondage, paru dans le quotidien de centre droit Parapolitika, 48,3 % des sondés sont « en faveur du maintien » du pays dans l’UE, 39,4 % « pour son départ », alors que 12,3 % sont sans opinion. Mais ces chiffres marquent très nettement une augmentation des eurosceptiques puisque, deux ans auparavant, plus de 70 % des Grecs étaient en faveur du maintien du pays dans la zone euro et l’Union européenne.

De fait, traditionnellement pro-Européens, de nombreux Grecs ont perdu confiance en l’UE. Mais surtout – et c’est nettement plus inquiétant – ils ont perdu tout espoir de pouvoir réformer l’Europe de l’intérieur, comme le proposait Alexis Tsipras lors de la campagne électorale qui l’a porté au pouvoir en janvier 2015. Les Grecs sont désormais convaincus que rien ne changera pour eux et que rien non plus ne changera en Europe. Pour preuve, cette plaisanterie qui circulait sur les réseaux sociaux au lendemain du Brexit : « Demandez à Alexis comment on fait pour transformer un non en oui au référendum. Nous, en Grèce, on sait faire ! » Allusion on ne peut plus claire au référendum du 5 juillet 2015, où plus de 62,5 % des Grecs avaient rejeté la politique d’austérité imposée par les créanciers, après quoi, huit jours plus tard, un troisième plan d’austérité leur avait été imposé, aussi violent qu’inefficace. En témoignent la chute de la consommation et des exportations, les 1,3 % de récession et les 26 000 entreprises fermées depuis l’instauration du contrôle des capitaux, ainsi qu’un chômage touchant plus d’un quart de la population, alors que 30 % des Grecs sont toujours exclus du système de santé légal.

Autant dire que, lorsque Pierre Moscovici, commissaire européen aux Affaires économiques, déclare qu’il « ne faut pas punir les Anglais pour ce vote », les Grecs jugent qu’il y a là deux poids deux mesures. « Il faut ménager les Anglais, qui ne sont même pas dans la zone Schengen et la zone euro, mais nous, il fallait nous punir et nous humilier d’avoir osé relever la tête », lâche rageusement Amalia, 54 ans, militante de Syriza. À l’époque, le Premier ministre, Alexis Tsipras, affirmait que « le non des Grecs ne signifiait pas une rupture avec l’Europe, mais le retour à l’Europe des valeurs et de la démocratie ». Il a été cloué au pilori, et les Grecs avec lui.

Pourtant avec le Brexit, Alexis Tsipras boit du petit-lait : « Le référendum britannique doit servir de réveil, a-t-il déclaré à l’annonce des résultats. Les peuples européens ont besoin d’une vision pour l’Europe, qui doit changer sa politique, sans quoi on risque d’entrer dans une période dangereuse de régression. » Et Tsipras d’enfoncer le clou : « Les discours présomptueux des technocrates enragent les peuples. Nous avons besoin de changements politiques. » Un discours qui sonne comme une revanche sur ces « technocrates » qui l’ont fait plier et l’ont conduit à rompre avec l’aile gauche du Syriza. « Pour les discours, il a toujours été bon, commente Amalia, sceptique, c’est dans les actes que ça coince. »

En fait, avec le recul, les Grecs ne sont pas mécontents de voir qu’après deux ans de menaces de Grexit (l’exclusion de la Grèce de l’eurozone) c’est le Brexit qui a ouvert le bal. « Ces technocrates sont tellement sûrs d’eux, tellement arrogants, qu’ils n’ont rien vu venir », souligne Andreas Katsiotis, universitaire. Les internautes, eux, n’ont pas manqué l’occasion d’être caustiques : « Si le Brexit l’emporte, faites un prix pour les touristes britanniques cet été, ils ont ouvert la voie », pouvait-on lire sur les réseaux proches de la gauche.

À droite cependant, on est abasourdi. Nikos Dendias, ancien ministre conservateur, s’inquiète de voir « d’autres pays suivre l’exemple britannique ». Une inquiétude traduite par une chute de 14 % de la Bourse grecque dès l’annonce des résultats, ce qui n’inquiète pas outre mesure les armateurs, bien au contraire. « Désormais, les banques britanniques ne seront plus tenues de respecter les lois bancaires européennes qui les obligent à donner des tas de renseignements sur leurs clients. L’argent gris circulera plus facilement vers Londres », analyse Nikos Vernicos, -héritier d’une dynastie d’armateurs depuis quatre générations. Les armateurs vont-ils quitter la City du fait du Brexit ? « Grands dieux, non !,s’exclame-t-il. De toute façon, ils avaient déjà leur propre monnaie, ça ne change rien pour nous, au contraire. »

« Les conséquences risquent d’être plus fâcheuses pour le tourisme », met en garde, de son côté, Vassilis Korkidis, président des PME de la région de l’Attique, qui rappelle que « 2,2 millions de touristes britanniques sont attendus chaque année ». Ils dépensent en moyenne 800 euros par personne, soit presque 2 milliards d’euros pour la saison. Désormais, avec les nouveaux taux de change, cela risque de diminuer, car la Grèce est devenue 12 % plus chère. Idem pour les exportations. « On verra, dit-il, philosophe. De toute façon, les changements brutaux ne sont jamais bons pour les affaires. »

En fait, même si le Brexit fait plus rire qu’autre chose, en Grèce, chacun le voit par le prisme de la crise qui frappe le pays depuis cinq ans. Loulia, la quarantaine, avait pris la décision d’émigrer en famille à Londres, elle redoute maintenant une nouvelle période d’incertitude. Et il y a ceux qui s’inquiètent de voir l’Europe se désagréger, comme Christos Sakelariou, 55 ans, professeur d’italien, qui estime que, « sans les Anglais, l’Europe va s’effondrer et tous nos sacrifices partir à l’eau ». Enfin, il y a ceux qui souhaitent cet effondrement, comme Irini Kondaridou, 40 ans, professeure de lettres classiques, militante d’extrême gauche : « Que les Anglais réussissent ce que la gauche grecque n’a pas su faire pour que l’on puisse refaire une vraie Europe sociale ! », implore-t-elle.

Enfin, il y a ceux qui n’y croient pas un instant, comme Antonis, 38 ans, expert en marketing au chômage : « Ils vont trouver un moyen de rétropédaler. Les Britanniques vont négocier, sauf qu’ils ne seront pas en position de force, et ça risque de ne pas leur plaire. » Pour ce lanceur d’alerte, le plus inquiétant, c’est le message politique qui risque d’en sortir. « Si rien ne peut faire changer l’Europe, pas même un tel message, alors c’est l’extrême droite et les néonazis qui vont récupérer la mise, car eux votent massivement et d’une seule voix en Grèce, en Hongrie, en Autriche, en Pologne, et même en France. C’est comme si la seule opposition à cette Europe néolibérale ne pouvait être que d’extrême droite. »

Bizarrement, le ministre grec des Affaires étrangères, Nikos Kotzias, europhile convaincu, rejoint Antonis dans son analyse : «Le morcellement de l’Union européenne prouve la nécessité de lutter contre les nationalismes et les conduites extrêmes. Les pratiques punitives devront cesser au profit d’une culture de dialogue démocratique et de consensus. » Le moins que l’on puisse dire, c’est que, pour l’instant, il n’est pas vraiment entendu.

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