Jacques Boutault : « Monsieur Valls, ne faites pas de bêtises ! »

La lutte de Notre-Dame-des-Landes est, selon Jacques Boutault, un symbole politique exprimant qu’il est temps de mettre les discours en acte.

Patrick Piro  • 13 juillet 2016 abonné·es
Jacques Boutault : « Monsieur Valls, ne faites pas de bêtises ! »
© Photo : ARTEM HOLUBKOV/Citizenside/AFP.

Les débats du rassemblement militant de Notre-Dame-des-Landes ont évité les invitations politiques, cette année, pour se concentrer sur la production d’idées au sein du mouvement « Semailles de démocratie ». À rebours des socialistes, qui ont annulé leur université d’été prévue fin août à Nantes, par crainte notamment de perturbations provoquées par des opposants à l’aéroport, EELV avait organisé un conseil fédéral la veille du rassemblement militant pour que les délégués puissent s’y rendre. Jacques Boutault était à Montjean, lieu-dit des environs de Notre-Dame-des-Landes, où chapiteaux et stands étaient dressés.

Que représente pour vous la résistance de Notre-Dame-des-Landes ?

Jacques Boutault : Elle est essentielle. D’abord parce qu’il s’agit de la revendication d’un passage au « non-acte » : ne pas construire cet aéroport, le plus néfaste des projets climaticides et destructeurs de la biodiversité, et plus encore après les engagements pris pendant la COP 21. Cette lutte est symbolique pour ce que les gens attendent des politiques publiques : qu’elles passent des discours à l’application concrète.

Ne pas faire Notre-Dame-des-Landes serait transmettre le message fort que l’on sort de la parlotte, que l’on a compris les avis sans ambiguïté des scientifiques du climat. Construire cet aéroport signifierait a contrario que l’on s’assoie délibérément sur toutes les conclusions les plus rationnelles émises depuis des années.

Ensuite, cette résistance est un symptôme de la manière dont le gouvernement actuel mène la politique. Il n’écoute absolument pas la rue. Non pas qu’il faille la suivre aveuglément, mais au moins considérer un peu ses revendications.

Or, la porte d’un vrai dialogue est toujours fermée, qu’il s’agisse de la loi travail ou de Notre-Dame-des-Landes. Quant à la consultation des électeurs, le 26 juin, réduite au seul département de la Loire-Atlantique, elle a été taillée sur mesure pour aboutir au « oui » à l’aéroport. Peut-on parler de légitimité ? Cette consultation ne dit rien, et surtout pas qu’une « majorité » est favorable au projet.

Qu’est-ce qui fonde, de votre point de vue, la légitimité des opposants ?

La persistance de ce mouvement. Ça fait quarante-deux ans qu’ils alertent, avec une constance remarquable. Le temps qui passe a renforcé la cohérence de leur discours, car leurs arguments d’hier sont toujours valables, et même encore plus aujourd’hui alors que les crises écologique et économique se sont aggravées. Les personnes qui se sont mobilisées les premières, à l’époque, étaient de véritables lanceurs d’alerte en action, et leur légitimité s’est ancrée dans la durée.

Qu’enseigne Notre-Dame-des-Landes aux politiques ?

Que ce n’est pas parce que l’on a été élu qu’on a la science infuse, que l’on possède toutes les bonnes réponses. Il faut reconnaître la créativité citoyenne absolument fantastique qui se développe ici comme ailleurs. Certes, il ne s’agit pas de tout prendre dans ce qui se dit lors de telles rencontres, mais d’écouter, et de prendre en considération cette richesse. Ce mouvement réfléchit beaucoup, et notamment sur la manière dont il avance, propose des innovations politiques, met en pratique de nouvelles formes de travail en commun, lance des expériences et des propositions qui enrichissent la démocratie participative. Le personnel politique est trop souvent enfermé en réunion, et avec des experts institutionnels. Aller plus souvent sur le terrain permettrait de percevoir la densité de cette expertise citoyenne collective, qui devrait nourrir plus notre réflexion.

Quel conseil donneriez-vous au Premier ministre, qui a annoncé que les travaux débuteraient à l’automne à Notre-Dame-des-Landes ?

Monsieur Valls, ne faites pas de bêtises. Gagnez du temps. Évacuer la ZAD à l’automne ? Ça serait stupide à tout point de vue, et extrêmement compliqué au vu de la résolution des opposants, toujours aussi déterminés. Ne prenez pas le risque d’un affrontement physique, qui serait terrible. Attendez sagement l’épuisement de tous les recours judiciaires.

Ensuite, la période électorale va imposer ses exigences. Et j’en fais la proposition aux candidats à la présidentielle de 2017 : inventez donc une « jurisprudence Larzac ». En 1981, le candidat François Mitterrand avait eu la lucidité et la raison de proposer l’abandon du projet d’extension du camp militaire, et il avait tenu parole ensuite. Laissons tomber les questions d’ego, arrêtons de penser que l’on va manger son chapeau si l’on renonce à l’aéroport ! Celle ou celui qui annoncerait ne pas se sentir engagé par ce projet se grandirait, et tirerait un bénéfice électoral de cet apaisement.

Écologie
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