L’Europe divise à gauche

Le référendum britannique a ravivé les divergences sur l’attitude à adopter pour refonder l’Union européenne. Un débat stratégique plus qu’une pomme de discorde.

Michel Soudais  et  Pauline Graulle  • 6 juillet 2016 abonné·es
L’Europe divise à gauche
© Photo : SAMUEL BOIVIN/Citizenside/AFP

Refonder l’Union européenne. Construire une autre Europe qui soutienne des politiques de développement social et écologique, libérées de l’emprise des marchés financiers… Sur l’objectif, toutes les formations qui constituaient le Front de gauche sont d’accord. Elles s’entendent également pour voir dans le Brexit une nouvelle opportunité de tourner le dos aux politiques actuelles de l’UE qui ont miné le projet d’une Europe unie. « C’est une occasion extraordinaire pour la France de proposer de tout autres méthodes » que celles suivies jusqu’ici, a aussitôt plaidé Jean-Luc Mélenchon. « Il nous faut passer à l’offensive de manière différente que nous l’avons fait dans le passé, a prôné le communiste Patrick Le Hyaric, lors d’une réunion Place du Colonel-Fabien. Nous sommes aujourd’hui devant une porte secouée par le vent. Si on rentre dedans, je crois qu’on peut faire bouger beaucoup de choses. »

Faire bouger l’Europe… Mais comment ? Là, les positions divergent quelque peu. Depuis le coup d’État financier contre la Grèce, Jean-Luc Mélenchon défend une stratégie à double détente, avec un plan A et un plan B, qu’il récapitule ainsi dans un entretien à Mediapart (2 juillet) : « Le plan A prévoit qu’on rediscute des traités. Tout le monde doit en sortir en Europe. Si c’est refusé, il ne faut céder à aucune des menaces, chantages ou violences habituelles de l’Europe allemande. Il faut être prêt à sortir de cette camisole de force. La nouvelle assemblée devra fixer le mandat de négociation et le peuple français sera ensuite appelé à se prononcer sur le résultat de la négociation. D’un bout à l’autre du processus, le peuple décidera. » Le 24 juin, à l’annonce du résultat du référendum au Royaume-Uni, le candidat de la « France insoumise » s’était montré plus tranchant. Résumant sa stratégie dans une formule ramassée, il avait lancé à l’adresse des représentants des gouvernements européens : « L’Europe pour les Français, on la change ou on la quitte. »

Quand Bruxelles donne le bâton…

Du pain bénit pour les partisans d’un « Frexit » de gauche ! Quelques jours à peine après le choc du Brexit, l’Union européenne se donnait à voir de la pire manière.

Mercredi dernier, alors que tous les regards étaient encore tournés vers Londres, la Commission européenne prolongeait en catimini l’autorisation d’utilisation du glyphosate (cancérigène contenu dans le Roundup) en Europe, en dépit de la levée de boucliers de 19 pays membres. Le même jour, le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, déclarait vouloir faire fi de l’avis des parlements nationaux pour adopter une série de traités de libre-échange relevant pourtant de la compétence nationale. Comme le Ceta, qui ouvrira le marché des services au Canada. Ou le Tisa et sa « clause cliquet » instaurant l’irréversibilité de toute nouvelle privatisation dans les pays de l’UE, et donc, de fait, l’interdiction aux gouvernements nationaux de revenir sur les décisions de leurs prédécesseurs !

Une « aberration démocratique » dénoncée par l’eurodéputé socialiste Emmanuel Maurel, qui rappelle qu’« en février dernier, le Parlement européen a voté – à une large majorité – une résolution qui encourageait la Commission à changer de cap dans sa manière de négocier le Tisa ». La seule instance encore démocratique à Bruxelles a, là encore, été superbement ignorée…

Une formule critiquée par Clémentine Autain, porte-parole d’Ensemble !, et l’historien Roger Martelli, dans un article titré « l’Europe, on la change ou elle meurt », publié sur Regards.fr, pour qui cette stratégie « présente plus d’inconvénients que -d’avantages ». Notamment celui de donner « quitus à la doxa européenne qui identifie l’Union et le socle de la concurrence-gouvernance sur lequel elle est bâtie », alors que ce socle « est le principe régulateur de tous les territoires, du local au planétaire ». Selon eux, il faut « une rupture radicale dans tous les territoires sans exception ». Dans les rangs du PCF, déjà passablement échaudés par la campagne jugée trop solitaire du fondateur du Parti de gauche, la formule mélenchonienne provoque un tollé. Sur son blog, José Fort, ex-responsable de la rubrique politique de L’Humanité, y décèle d’« étranges convergences » entre son auteur et Sarkozy, « dans la forme s’entend ». Sur Facebook, Frédérick Genevée, plus favorable à l’ex-candidat du Front de gauche, estime que « Mélenchon pourrait être une bonne candidature » à condition d’éviter ce type deformule « qui, outre son contenu politique à discuter, joue avec une symbolique nauséabonde ».

La réplique est aussi venue de la direction du PCF, dont l’un des cinq forums destinés à définir les contours d’un projet partagé pour 2017 avait pour thème l’Europe, le 30 juin. Patrick Le Hyaric en était l’un des intervenants : « Dire, ‘‘l’Europe, on la change ou on la quitte’’, ça veut dire qu’on ne changera pas, avertit le député européen_. Ce n’est pas une alternative._ […] Nous croyons au combat internationaliste, pour changer, et non pas pour quitter.

Si le propos se veut mesuré, il l’était moins dans la salle. « On ne peut pas avoir une vision aussi simpliste, on ne dit pas ‘‘le monde, je le change ou je le quitte’’ : on le change, point final. La question n’est donc pas de quitter l’Europe, mais de savoir comment on va la changer », estime Gabriel Massou, président du groupe PCF au département des Hauts-de-Seine, qui ajoute que « ce n’est pas parce qu’on sort de l’Europe qu’on sortira du libéralisme ». Une position conforme au projet adopté par le PCF à son dernier congrès. Et que Pierre Laurent s’est fait fort de rappeler. Pour le numéro un communiste, « aucun changement ne sera possible si nous ne changeons pas les rapports de force en France, en Europe et au-delà », et « toute tentative, devant la difficulté de la tâche, de prendre des chemins détournés, comme un plan B » serait manquer de solidarité à l’égard des autres forces en Europe qui aspirent aussi au changement.

Il y aurait donc, d’un côté, un PCF attaché par tradition internationaliste à rester dans l’Europe quoi qu’il arrive (en témoigne l’indéfectible soutien de Pierre Laurent à Alexis Tsipras et à Syriza) et, de l’autre, un Jean-Luc Mélenchon plus porté au souverainisme – lui se dit « indépendantiste » ? La réalité est plus complexe.

D’abord parce que l’orientation de la direction du PCF est loin de faire l’unanimité dans les rangs communistes. En témoigne un amendement présenté lors du 37e congrès par la fédération du Nord unanime souhaitant dans le parti « un large débat à tous les niveaux, national et local, sur la sortie ou le maintien de l’Union européenne et de l’euro en tant que monnaie unique ». Soumis au vote, sous la pression insistante des délégués de plusieurs fédérations, il n’a été rejeté que par 60 % des délégués, 40 % votant pour, après deux interventions de Pierre Laurent dans le débat. Dans l’optique de concilier souveraineté et coopération, le projet adopté en congrès prône d’ailleurs « une construction [de l’Europe] à géométrie choisie » où les peuples auraient la liberté de définir ce qui relève de la nation et de l’union.

Enfin, le « plan B » de Jean-Luc Mélenchon ne se réduit pas à un départ en solo de la France. « Si l’obstination des néolibéraux […] devait provoquer la dislocation de l’UE, lit-on dans le projet (approuvé il y a un an par 73,4 % des délégués au congrès du Parti de gauche), la France prendrait toutes les initiatives pour reconstruire une autre voie vers l’unité et la solidarité des peuples d’Europe. » L’objectif de refonder l’Europe n’est donc pas abandonné.

Politique
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