FSM : Les luttes LGBT sortent du placard

Les questions de genre et de diversité sexuelle ont donné lieu à plusieurs débats pointus lors du FSM, avec une exposition inédite.

Patrick Piro  • 24 août 2016 abonné·es
FSM : Les luttes LGBT sortent du placard
© Photo : Patrick Piro

Coïncidence, la semaine Fierté Montréal, qui défend les droits des personnes lesbiennes, gay, bi et transsexuelles (LGBT), se tenait à la même période que le Forum social mondial. Elle a donné lieu à une petite polémique révélatrice quand Jasmin Roy, le porte-parole du festival, a déclaré trouver « obscène » l’appellation « queer ». S’excusant un peu plus tard, il a précisé ne viser que le terme, « empreint de préjugés » : « queer » signifie « bizarre » en anglais.

Le malaise vient du fait que la maladresse de Jasmin Roy dissimule un débat qui prend une place grandissante. Car, depuis quelque temps, certains veulent accoler le « Q » à LGBT. Les queers rejettent l’étiquetage d’un genre ou d’une orientation sexuelle particulière, à la différence des lesbiennes, gay, bi ou transsexuels, qui se définissent au sein de ces registres. Le « Q », allongeant un sigle déjà lourd, ajouterait aux luttes des minorités sexuelles la revendication de pouvoir construire socialement son sexe, qui ne serait donc pas réduit à une simple identification physique, nouvelle étape dans la déconstruction des catégories du sexe et de l’orientation sexuelle. « Queer » est même l’un des mots de l’année pour le quotidien montréalais Le Devoir, alors que la chanteuse québécoise Cœur de pirate s’en revendiquait il y a quelques semaines, déclenchant une vague d’incompréhension et de propos haineux.

Au même moment, le FSM ouvrait encore plus largement les vannes. Son comité « Diversité, genres et sexualités » entendait promouvoir les enjeux « LGBTQIA », incluant les personnes intersexuelles [1], aromantiques et asexuelles [2] : diversité (ethnique, culturelle, religieuse), de genre (trans, identité sexuelle) et de sexualité (orientation, travail du sexe, santé). On y découvre des ateliers présentant des travaux peu connus en Europe : sur les « micro-agressions », ces rebuffades verbales ou comportementales, intentionnelles ou non, qui pourrissent à bas niveau le quotidien des LGBTQIA, ou encore l’intersectionnalité – le cumul de plusieurs formes de domination ou de discrimination. Et que vivent les artistes queers ? Les migrants non hétérosexuels ?

Pour la première fois, le FSM a tenu à -Montréal une grande conférence sur les acquis et les luttes à venir de la communauté LGBT dans le monde. Les organisateurs n’ont pas fait dans la demi-mesure : elle s’est tenue sur l’une des vastes places de son énorme ville souterraine commerciale, au milieu des passants.

En Ouganda, qui fait partie du tiers des pays du monde criminalisant encore les orientations non hétérosexuelles, le cinéaste Kamoga Hassan a pu fonder, en dépit de nombreuses chicanes, l’inattendu Queer Kampala International Film Festival (QKIFF). « Il arrive que la police vérifie le sexe des participants, une terrible expérience », raconte le jeune homme.

En Tunisie, c’est le test anal, pour détecter d’éventuelles pratiques homosexuelles : l’article 230 du code pénal prévoit jusqu’à trois ans de prison et l’interdiction de travailler pour les gays. Avec le Printemps arabe de 2011, la situation s’est timidement améliorée. Rami Ayari, président du groupe de soutien « Sans restriction », explique comment des militants ont pu créer Shams en 2015, première association de lutte contre l’homophobie, et célébrer publiquement la Journée mondiale de lutte contre l’homophobie, le 17 mai dernier. « Pour une fois, la police nous protégeait contre les agressions des gens au lieu de nous chasser. »

En Jamaïque, l’un des pays les plus ouvertement anti-gay de la planète, l’avocat Maurice Tomlinson (réfugié au Canada) se bat contre la loi « anti-sodomie », qui peut conduire à dix ans de travaux forcés. Avec le soutien récent de personnalités internationales, mais aussi jamaïcaines, la condition LGBT s’améliore au gré de modestes avancées. L’avocat estime avoir de bonnes chances de gagner un procès contre des médias jamaïcains qui refusent la diffusion d’une vidéo appelant à la tolérance. Il a gardé pour la fin une « bonne nouvelle qui pourrait avoir des conséquences positives pour toute la Caraïbe » : après sept ans de bataille, des militants des droits humains du Belize ont obtenu l’abrogation par la Cour suprême de la criminalisation de la sodomie.

[1] Dont le système génital présente une ambiguïté ne permettent pas de les définir physiologiquement comme « mâle » ou « femelle ».

[2] Qui ne ressent pas d’attirance romantique ou sexuelle.

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