Alstom, l’intérêt général et eux
En condamnant le site, Alstom améliorera sa rentabilité.
dans l’hebdo N° 1419 Acheter ce numéro
La fermeture du site d’Alstom de Belfort est une nouvelle illustration de l’abandon par la France de la politique industrielle. En 2004, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Économie, se targuait d’avoir remporté son bras de fer avec le commissaire européen Mario Monti en obtenant l’autorisation de recapitaliser Alstom. Et 29,4 % des parts furent cédées en 2006 à Bouygues, qui chercha ensuite à les revendre. En 2014, Bouygues accueillit donc favorablement la prise de contrôle des trois entités de la branche énergie d’Alstom (énergie renouvelable, réseaux électriques, électricité thermique) par General Electric, dans le cadre de trois « joint-ventures ». Arnaud Montebourg, encore ministre de l’Économie, laissa faire. La France cédait pourtant le contrôle de la fabrication de ses turbines nucléaires aux Américains. Elle renonçait à constituer, au nom du respect des règles de la concurrence de l’Union européenne, un grand champion européen avec Siemens. Une telle alliance aurait été d’autant plus pertinente dans le cadre de la mise en œuvre de la transition énergétique, dans laquelle les Allemands sont particulièrement en pointe.
Pour justifier cette démission, Bercy clama que la France conserverait « des droits spécifiques sur certaines nominations et un droit de veto sur les décisions structurantes » (sic !). De plus, l’État entrerait dans le capital de la branche transports ferroviaires en rachetant les deux tiers des 29,4 % détenus par Bouygues. Lequel réclamait un prix d’acquisition de ses actions de 35 euros. Ce prix fut jugé excessif par l’État, qui proposait de les acquérir à 28 euros. La négociation déboucha sur une option d’achat par l’État sur vingt mois, ce dernier disposant d’ici-là d’un droit de vote équivalent à 20 % du capital. Jusqu’à la levée de l’option, Bouygues, qui reste l’actionnaire principal, cherchera à l’évidence à maximiser ses dividendes et à obtenir le prix de vente le plus élevé possible…
Ceci a-t-il un lien avec la fermeture du site de Belfort ? Pour la direction d’Alstom, la construction des locomotives doit se faire sur le territoire même où les lignes sont implantées, aux États-Unis en l’occurrence, où les derniers contrats ont été signés. Faute de commandes, le site de Belfort est donc menacé. En le condamnant, Alstom, qui a déjà reçu 11 millions d’euros au titre du CICE en 2014, améliorera sans doute sa rentabilité. Mais l’intérêt capitaliste s’oppose ici à l’intérêt général. Rien ne dit qu’à plus long terme de nouvelles lignes ne soient pas programmées sur le territoire européen et qu’il ne faille pas maintenir le savoir-faire et les compétences nécessaires au renouvellement du matériel roulant existant. Le site de Belfort est d’autant plus stratégique qu’il se situe au cœur du territoire européen.
L’État, qui détient désormais la minorité de blocage, est théoriquement en mesure de s’opposer à la fermeture de Belfort, et ce d’autant plus que Bouygues déclarait, au moment de l’accord de 2014, accepter de s’aligner sur ses décisions… L’issue de cet épisode nous livrera de précieux enseignements sur la réalité du volontarisme industriel du gouvernement « socialiste » et sur son aptitude avérée à soutenir « l’offre » made in France.
Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.