FN : Sous le vernis de l’apaisement

En prévision du second tour de la présidentielle, Marine Le Pen tente de donner d’elle une image posée. Une stratégie de com’ aussi artificielle qu’électoraliste.

Michel Soudais  • 21 septembre 2016 abonné·es
FN : Sous le vernis de l’apaisement
© Photo : Franck PENNANT/AFP

Les sondages, depuis des mois, lui assurent une position enviable. Tous prédisent, en lui accordant 24 à 30 % d’intentions de vote suivant les configurations, que Marine Le Pen sera qualifiée pour le second tour de l’élection présidentielle au printemps prochain. À entendre les grands médias, cette qualification est déjà acquise. Cette hypothèse est également la seule privilégiée dans les états-majors politiques. Elle explique la surenchère identitaire et sécuritaire à laquelle se livrent dans le cadre de leur primaire les candidats qui n’ont de républicains que l’étiquette. Elle est pour la majorité présidentielle et tous ceux qui lui sont liés, à l’instar des « frondeurs », l’unique argument en faveur d’une « primaire de toute la gauche ». C’est dire si la position de la présidente du Front national est devenue centrale en ce début d’automne.

La fille de Jean-Marie Le Pen est pourtant loin d’avoir la partie gagnée. Certes, avec 459 élus (28 parlementaires, 11 maires, 62 conseillers départementaux, 358 conseillers régionaux), elle ne sera pas en peine de décrocher les 500 parrainages nécessaires pour valider sa candidature. Mais, à sept mois de l’élection, les enquêtes d’opinion, on l’oublie trop, n’ont pas de caractère prédictif. « Les instituts de sondage n’arrivent à mesurer pour l’instant que les intentions de vote de la partie la plus politisée de la population, celle qui a déjà des intentions de vote fermes des mois à l’avance », rappelait récemment le politologue Thomas Guénolé sur LCI. « Toute une partie de la population globalement plus jeune, plus pauvre, plus précaire et moins politisée que la moyenne ne se prononce que dans le dernier mois, voire la dernière semaine », ajoutait-il, soulignant que « la moitié de l’électorat est non alignée » et peut donc émettre d’une élection à l’autre des votes différents, voire opposés.

En 2011, une bonne cinquantaine de sondages assuraient, jusqu’en octobre, à l’héritière de la famille Le Pen qu’elle figurerait au second tour avec des scores oscillant entre 19 et 24 %. On connaît la suite. Si les enquêtes d’opinion de 2016 apparaissent plus crédibles, c’est parce que Marine Le Pen semble y retrouver les résultats obtenus par son parti aux premiers tours des élections régionales (27,7 %) et départementales (25,2 %) de 2015. Mais la faible participation électorale à ces scrutins (49,9 % et 50,2 %) ne permet pas de transposer leurs résultats à la présidentielle, élection marquée par une participation de 21 à 30 points plus élevée, impliquant 14 à 16 millions d’électeurs supplémentaires, dont un très grand nombre en provenance de cet électorat moins politisé qui n’a pas encore émis d’intention de vote dans les enquêtes d’opinion. C’est cet électorat fluctuant que la présidente du Front national essaie d’attirer depuis le début de l’année, en tentant de se présenter comme la candidate d’une « France apaisée », détachée de son parti, au-dessus de la mêlée.

Avec cette stratégie de communication, Marine Le Pen escompte également dépasser son échec aux régionales. Nettement en tête au premier tour dans la région des Hauts-de-France avec 40,6 % ; au second tour, elle n’était parvenue à convaincre que 42,2 % des électeurs de lui confier les clés de la région. En Paca, sa nièce, Marion Maréchal-Le Pen, avait connu la même déconvenue. En dépit de la banalisation de ses idées, le Front national se heurte toujours à l’hostilité d’une majorité d’électeurs prêts à voter contre leurs convictions pour lui barrer la route du pouvoir. « Faire présidente » pour lever l’obstacle est devenu l’obsession de Marine Le Pen. Elle s’est montrée avec ses chats sur son blog, a fait disparaître de ses affiches le nom et l’emblème de son parti, et s’est astreinte à une (relative) cure médiatique…

Ses « estivales », appellation reprise au Front de gauche qui avait trouvé ce nom pour ses universités d’été de 2011 à 2013, ont été une nouvelle illustration de cette stratégie, relayée trop souvent sans recul par nos confrères. Il ne fallait pourtant pas beaucoup gratter pour retrouver l’extrême droite, ses vieilles ficelles et ses obsessions, sous le vernis de l’apaisement (voir le reportage de Nina Hubinet, p. 4). Mesurés dans leurs propos – ils avaient été bien sélectionnés –, les militants présents à Fréjus, ne peuvent faire oublier les déferlements de haine dont sont capables les partisans de Marine Le Pen sur les réseaux sociaux. Ces derniers jours, une cadre socialiste varoise a encore été la cible d’insultes, de propos racistes et sexistes, d’appels au meurtre et au viol, pour avoir prôné la tolérance et le vivre-ensemble après l’agression dans une cité de Toulon de plusieurs adultes sous les yeux d’enfants.

Et ce n’est pas la présence de quelques « intellectuels » en tribune, comme Xavier Raufer, ancien d’Occident, ou un message vidéo de l’économiste Jacques Sapir, partisan de la constitution d’un « front de libération nationale » pour sortir de l’Europe, englobant la gauche antilibérale comme l’extrême droite, qui changent l’image du FN. Jean-Paul Brighelli, autre invité, est peut-être un ancien maoïste, mais l’auteur de La Fabrique du crétin est aujourd’hui un essayiste réactionnaire : « J’habite à Marseille,a-t-il déclaré, je n’ai pas envie de voir 350 000 femmes voilées devant moi tous les jours », ce qui supposerait que toutes les femmes adultes de la ville portuaire portent le voile. Au FN, les nouveaux sont identiques aux anciens.

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