Le service des urgences

Marisol Touraine s’émeut plus vite de la contestation d’une loi anti-sociale que des violences faites aux services publics.

Sébastien Fontenelle  • 7 septembre 2016 abonné·es
Le service des urgences
© Photo : GUILLAUME SOUVANT / AFP.

« Notre (1) » ministre des Affaires sociales et de la Santé a finalement réagi, cette semaine, aux suicides en série d’infirmières et d’infirmiers – poussé(e)s à bout par leurs conditions de travail – qui endeuillent l’Assistance publique depuis de longs mois déjà. « Que des hommes et des femmes qui doivent soigner et sauver des vies portent atteinte à leur vie, c’est évidemment extrêmement préoccupant », a-t-elle déclaré, avant d’ajouter qu’elle présenterait à l’automne « un plan pour les professionnels de santé ».

Dans un récent passé, Marisol Touraine a pu mettre – on se le rappelle – plus d’urgence dans l’expression de ses émotions. Lorsqu’au mois de juin dernier, par exemple, quelques vitres de l’hôpital Necker-Enfants malades (75015, Paris) ont été brisées dans les bords d’une manifestation contre la loi El Khomri, elle a immédiatement – et beaucoup plus vitement – crié son indignation, et que cette « attaque » lui était « insupportable », et que tout le truc était « honteux ». Mais, après tout, Marisol Touraine est « socialiste », de l’obédience particulière qui lui fait tolérer de servir sous la double tutelle de MM. Hollande (droite) et Valls (droite vénère) : c’est peut-être ce qui explique qu’elle s’émeut plus promptement de la contestation radicale d’une loi antisociale que des violences faites à certains services publics.

Car, ne pas s’y tromper : c’est bien de cela qu’il s’agit. Ce qui se passe aujourd’hui dans les hôpitaux nous est, malheureusement, parfaitement connu : ce sont les mêmes vagues de suicides qui ont déjà dévasté – et ce n’est pas fini – durant la dernière décennie France Télécom, puis La Poste, puis l’Office national des forêts.

Et partout, en tous ces lieux dédiés jadis au service public des usagers, mais dont les « socialistes » ont voulu considérer, non moins que l’autre droite, qu’ils devaient être « modernisés » (et dotés plutôt d’une « clientèle »), d’innombrables études indépendantes, menées presque toujours contre l’avis de leurs directions, ont très nettement documenté et établi que l’imposition, sous le sceau de la quête d’une « compétitivité » renouvelée, de méthodes de « management » directement prélevées dans le secteur marchand provoquait de terribles catastrophes – pour l’évidente raison qu’elles vont contre une culture salariale où le service rendu n’est jamais mesuré à l’aune de sa « rentabilité ».

Cela, Marisol Touraine – sauf à supposer qu’elle n’ait plus ouvert un journal depuis l’époque où elle soutenait le très (très) libéral Dominique Strauss-Kahn dans sa campagne présidentielle – ne peut bien sûr pas l’ignorer. Elle sait donc forcément que la poursuite, dans les hôpitaux, des mêmes « réformes » mortifères qui ont fait la preuve ailleurs de leur effroyable toxicité se solderait là aussi, inévitablement, par de nouvelles tragédies : pourvu qu’elle mette dans leur empêchement la même détermination que dans sa déploration, en juin dernier, de la « violence » faite à des vitres.

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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