Pour une politique migratoire digne

Alors que le ministre de l’Intérieur et des Calaisiens prônent le démantèlement de la jungle à Calais, la maire de Paris ouvre un camp dans la capitale en partenariat avec l’État.

Ingrid Merckx  et  Vanina Delmas  • 7 septembre 2016 abonné·es
Pour une politique migratoire digne
© Photo : ARIS MESSINIS/AFP

Une chaîne humaine de 400 personnes, entre le stade et le port de Calais, pour réclamer le démantèlement de la jungle. Des commerçants, des agriculteurs, des industriels et des artisans répondant au « Grand Rassemblement du Calaisis », le 5 septembre, faisaient étrangement écho aux propos tenus trois jours plus tôt par le ministre de l’Intérieur. À Calais, le 2 septembre, Bernard Cazeneuve a en effet rappelé la volonté de l’État de démanteler la « jungle » le « plus rapidement possible ». Il a eu beau ajouter avec « méthode » et « maîtrise », et ne pas fixer d’échéance, ces déclarations sonnaient davantage comme une porte ouverte aux Calaisiens en colère qu’aux migrants en détresse.

Dans la nuit du 5 au 6 septembre, un bâtiment devant accueillir des migrants à Forges-les-Bains (Essonne) a été incendié après une discussion houleuse avec une centaine d’opposants. Au matin, à Paris, Anne Hidalgo, maire de Paris, a annoncé l’ouverture d’un camp de réfugiés dans la capitale. Fruit d’un accord avec l’État, il pourrait « fluidifier les flux » sur le territoire. En tout cas limiter l’installation de campements dans les rues. Un premier pas pour sortir de l’impasse ? Quelles seraient les alternatives à la politique migratoire actuelle ?

« Élaborer une politique d’accueil coordonnée en Europe »

Sandrine Rousseau, Porte-parole EELV

Construire des camps respectant les normes internationales, comme celui qui va ouvrir à Paris, est une absolue nécessité humanitaire. Nombre de rapports d’ONG attestent que la situation en France est pire que celle observée dans les camps de réfugiés en zone de guerre. Il faut ôter l’idée aux gens qu’en traitant dignement les migrants, ils arriveront encore plus nombreux. De même, il faut supprimer le tabou autour de ceux qui veulent s’insérer en France. Ces camps humanitaires sont primordiaux pour informer les réfugiés de leurs droits, les orienter, mais aussi contrôler les passeurs et limiter le racket. C’est ce qui s’est passé à Grande-Synthe (Nord) et c’est une bonne chose. Ces points d’accueil devraient se trouver tout au long de la route de migration. Je m’étonne qu’on ne parle jamais de ce que ces personnes peuvent nous apporter. Il devrait y avoir consensus sur un accueil minimum temporaire en cas de crise ou de guerre et sur notre responsabilité d’accueillir dignement des personnes qui fuient leur pays avant même que l’on parle de leurs conditions de retour.

La politique étrangère de la France ne contribue pas à pacifier certaines zones : il faut arrêter les frappes en Syrie et organiser un accompagnement de l’Irak. Pour les Verts, le plus urgent consisterait à élaborer une politique d’accueil des réfugiés coordonnée. Les chefs d’État continuent à refuser une solidarité européenne. Nous avons besoin de leaders charismatiques ayant cette ambition. France, Allemagne, Italie, Espagne, Portugal, Grèce… tous ces pays pourraient travailler à une sorte d’accords du Touquet inversés (1). Si l’Europe se fédérait, elle pourrait faire face à Vladimir Poutine et à Bachar Al-Assad. Elle aurait du poids pour permettre l’installation d’une démocratie et d’institutions dignes de ce nom.

« Appliquer le droit international ! »

Marie-Christine Vergiat, Députée européenne Front de gauche.

La France se grandirait si elle appliquait le droit international et les conventions internationales qu’elle a signées. Il faut annuler les accords du Touquet, au moins les -renégocier. Et cesser de bloquer en France des gens, notamment des mineurs, qui, s’ils pouvaient se rendre en Angleterre, verraient leurs droits reconnus. C’est exactement le même phénomène à la frontière franco-italienne, où des réfugiés soudanais sont renvoyés vers le Soudan au « motif » qu’ils ne voulaient pas déposer leur demande d’asile en Italie. Les exemples de ce genre se multiplient. Pourquoi ne pas accueillir dignement ces gens qui, pour 90 à 95 %, peuvent prétendre à l’asile plutôt que de les laisser s’entasser dans des conditions épouvantables comme à Calais ? Bien sûr, 10 000 migrants, cela paraît énorme parce qu’on se focalise sur une ville. Mais qu’est-ce à l’échelle d’un pays ? L’Allemagne a accueilli 800 000 demandeurs d’asile. Dans les années 1990, les migrations représentaient 2,9 % de la population mondiale. Aujourd’hui c’est 3,2 %. Par rapport à la mondialisation et la liberté de circulation, c’est très peu. Il faut remettre les chiffres à leur place ! Et arrêter de parler de « crise migratoire ». Nous avons un problème de gestion des flux. C’est d’ailleurs le thème d’une conférence qui va se tenir dans quelques jours à l’ONU, à New York.

Il y a une instrumentation politique de la question et des points de fixation comme Calais. Nous sommes dans un système fou. Les Portugais ne cessent de dire qu’ils sont prêts à en accueillir beaucoup plus mais ça ne fonctionne pas parce que les réfugiés ont très naturellement envie d’aller dans un pays dont ils parlent la langue, où ils connaissent du monde, où ils ont de la famille. C’est tout un accompagnement qu’il faut faire. Sauf que les États ne veulent pas de solidarité européenne. On observe à quel point Angela Merkel recule sur ces questions. La ligne défendue par le Conseil européen consiste à répéter : « Fermez les frontières, renvoyez vers les pays d’accueil, et on va casser le modèle économique des passeurs. » Or, plus on ferme les frontières, plus on permet aux passeurs de développer leur « commerce ». Aujourd’hui, le nombre de migrants qui passent par les voies légales diminue. Même l’Allemagne est en train de durcir ses conditions de regroupement familial. En France, peu de politiques osent aborder le sujet. Si bien que l’extrême droite prospère. L’ouverture d’un camp de transit à Paris, c’est le minimum. Il faut avoir le courage d’expliquer que les problèmes liés aux mouvements de populations se font d’abord dans les pays du Sud (à 85 %) et qu’au Nord nous avons besoin des migrants tant du point de vue démographique qu’économique, sans même parler de la richesse culturelle des échanges.

« Désengorger les dispositifs »

François Guennoc, Vice-président de l’Auberge des migrants

Pour élaborer des solutions viables, il faut d’abord avoir conscience des différents profils des personnes vivant dans le camp de Calais. Pour ceux qui veulent toujours passer en Grande-Bretagne, la majorité, il faut entamer un bras de fer avec les Britanniques pour qu’ils prennent leurs responsabilités, notamment pour ceux qui peuvent bénéficier d’un rapprochement familial, et pour les mineurs isolés qui ont de la famille de l’autre côté de la Manche. Pour ces derniers, les passages se font au compte-gouttes : seulement une cinquantaine de mineurs seraient entrés en Angleterre depuis trois mois.

Pour ceux qui veulent faire une demande d’asile en France, le problème majeur est le manque de place dans les premières structures d’accueil, les centres d’accueil et d’orientation [CAO]. L’ensemble du dispositif national est asphyxié. Et il n’y a pas assez de personnes pour instruire les demandes d’asile. Les gens sont bloqués en centre d’accueil pour les demandeurs d’asile [Cada] et ne libèrent pas de places pour ceux qui attendent en CAO. Le système se grippe depuis Calais, où les migrants doivent attendre entre deux et trois mois pour demander l’asile.

Répartir l’accueil entre les grandes villes françaises est une piste. Si on trouvait cinquante villes accueillant chacune deux cents migrants, on aurait de quoi absorber ceux vivant à Calais et ceux qui vont arriver. En Allemagne, l’État fédéral répartit autoritairement les réfugiés par Land, puis par districts en fonction de plusieurs critères : population, richesses, taux de chômage… Nous préconisons des hébergements à dimension humaine, c’est-à-dire entre cent et deux cents personnes regroupées par origine. Nous ne vivons pas une crise migratoire mais une crise de l’accueil qui est surmontable si on commence par -changer de langage. Considérer les réfugiés comme un problème n’encourage ni les maires ni les citoyens à se montrer solidaires.

« “No border” disent les migrants »

Teresa Maffeis, Membre de l’Association pour la démocratie à Nice, du collectif Migrants 06

Les réfugiés sont arrivés à Vintimille au printemps 2015. Au départ, ils passaient la frontière. Nous avions même l’habitude de les accompagner jusqu’au train. Mais, en juin 2016, le préfet des Alpes-Maritimes a décidé de bloquer la frontière. La Croix-Rouge italienne avait installé un centre d’hébergement à Vintimille, mais les migrants avaient peur qu’on prenne leurs empreintes et qu’on les identifie. Beaucoup dormaient donc dehors et étaient pourchassés. Des associations et des bénévoles des deux côtés ont décidé de les aider.

Depuis l’appel du pape, en mai 2016, les églises se sont ouvertes. J’ai assisté à des repas dans la cour de l’église San Antonio, à Nice, où il y avait quasiment mille personnes. Les associations et les habitants venaient leur apporter de la nourriture ou s’occuper des enfants. Cette image d’une solidarité idyllique ne représente qu’une trêve.

Lorsque les migrants arrivent, ils s’aperçoivent brutalement que l’Europe n’est pas libre pour tout le monde et ils découvrent le racisme. La solidarité citoyenne ne doit pas remplacer l’État. Les pays européens qui ont accepté d’accueillir des milliers de réfugiés doivent respecter leurs engagements.

Si le gouvernement français autorisait les réfugiés à travailler quand ils demandent l’asile, ils seraient plus autonomes. L’hébergement chez des habitants, combiné à un soutien de l’État, pourrait ainsi améliorer les conditions d’accueil. Mais la véritable solution serait d’ouvrir les frontières. « No border », disent les migrants, alors que toutes les frontières se durcissent.

« Une réflexion globale sur l’accueil et le suivi médical »

Yannick Le Bihan, Directeur des opérations France à Médecins du monde

Médecins du monde n’est pas très favorable aux camps. Les expériences à l’étranger montrent que lorsqu’un camp ouvre, on ne sait jamais quand il va fermer. Mais, dans des situations d’urgence, s’il s’agit de mettre à l’abri et d’accueillir dignement, ce peut-être une solution transitoire, le temps que les migrants soient orientés vers des centres ou chez des gens. Depuis plus d’un an, des campements se sont installés dans la capitale, à la Halle Pajol, à Stalingrad, à Austerlitz… De 50 personnes au début, ils se sont retrouvés à près de 2 000 parfois. Jusqu’au mois de juin, à chaque évacuation, étaient proposées des solutions d’hébergement en région parisienne ou en France. Mais, cet été, nous avons observé un changement dans l’attitude de la préfecture de Paris, qui a procédé à des évacuations sèches, et remis à la rue des personnes avec ordre de quitter le territoire… L’ouverture d’un camp pourrait éviter de telles arrestations. Et la ministre du Logement a annoncé 5 000 places supplémentaires pour demandeurs d’asile dans un dispositif déjà saturé…

Nous voudrions assister à une réflexion plus globale sur l’accueil des demandeurs d’asile en France (file devant les préfectures, hébergement). Et, au niveau européen, nous voudrions une politique cohérente. Si la France reproche à l’Angleterre de lui laisser gérer « ses » migrants à Calais, elle fait de même avec l’Italie à Vintimille. Calais et Paris ne pourront pas prendre en charge toutes les personnes qui se présentent chez elles. Jusqu’à présent, l’État français s’est défaussé sur les collectivités. L’ouverture d’un camp à Paris signale un changement de politique. Même s’il a ses limites, y compris en termes d’accueil, car 750 places, ça paraît peu. Ça ne peut fonctionner que si tous les autres dispositifs fonctionnent. Il faudrait aussi ne pas opposer les précarités : l’accueil d’un réfugié syrien diffère de l’accueil d’un réfugié soudanais.

Nous avons observé un certain nombre de syndromes post-traumatiques chez des réfugiés, par ailleurs plutôt en bonne santé, mais qui ont vécu des situations innommables, certains ont transité par la Libye, où les maltraitances sont légion, après des traversées périlleuses et ils ont subi un accueil à l’arrivée qui n’était pas celui qu’ils attendaient. Le dispositif tel qu’il est ne permet pas d’identifier les personnes les plus atteintes et d’adapter les prises en charge. Comme ces personnes seront amenées à changer plusieurs fois de lieu d’accueil, il faudrait que nous puissions mettre en place un suivi médical.

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