Sécurité : Comment font les autres ?

États-Unis, Belgique, Norvège : trois pays confrontés récemment au terrorisme, trois stratégies différentes, du Patriot Act américain au « plus d’amour » norvégien.

Ingrid Merckx  et  Pauline Graulle  • 28 septembre 2016 abonné·es
Sécurité : Comment font les autres ?
© Photo : HUBERT BOESL / DPA / AFP

États-Unis

« Une Amérique crépusculaire, où les rêves ne sont que des leurres. Une société détraquée par la paranoïa et fascinée par le mythe de la sécurité absolue. » Caricature ? « Non. Mise en scène d’une prise de conscience », objecte l’auteur de Terre déchue (Robert Laffont), Patrick Flanery, Américain installé en Angleterre depuis quinze ans, lors d’une table ronde organisée le 11 septembre au festival America à Vincennes (94) sur le thème : « Faut-il avoir peur de l’Amérique ? »

Quinze ans jour pour jour après l’attentat qui a marqué l’entrée de la planète dans une nouvelle ère du terrorisme et du sécuritaire, le romancier témoignait du sursaut de citoyens épuisés par quatorze années de Patriot Act. Cette loi tentaculaire qui a octroyé des pouvoirs colossaux aux organismes de lutte contre le terrorisme au détriment du respect des droits a expiré le 31 mai 2015.

Edward Snowden est passé par là. En juin 2013, il a révélé que des données récoltées dans les conversations téléphoniques de millions -d’Américains avaient été stockées par les services de renseignements. Cette surveillance électro-nique massive a finalement été jugée illégale. L’opinion a été choquée et le Patriot Act a pris du plomb dans l’aile. Le 2 juin 2015, le Sénat américain a voté une nouvelle loi, le Freedom Act, présentée comme un Patriot Act expurgé des dérives pointées par Snowden.

L’informaticien en exil en Russie (avec un titre de séjour jusqu’en 2017) est accusé d’espionnage, de vol et d’utilisation illégale de biens gouvernementaux. Le 14 septembre, des ONG, dont Amnesty International, Human Rights Watch et l’Union américaine pour les libertés civiles (Aclu), ont lancé une campagne pour demander à Barack Obama de gracier -Snowden.Trois médias, The New York Times, The Guardian et The Intercept, sont sur la même ligne, et une pétition, pardonsnowden.org, remercie le lanceur d’alerte d’avoir éventé le secret d’un autre programme de surveillance, « Prism », « parfaitement légal ».

Quels programmes de renseignements sont légaux ? Quelles lois sont abusives ? Plutôt partisans de dispositifs sécuritaires au lendemain du 11 Septembre, les Américains sont devenus plus méfiants. Au moment du vote du Freedom Act au Congrès, une campagne dans laquelle des citoyens posaient nus (#ifeelnaked) a été lancée sur les réseaux sociaux par des collectifs de défense des libertés, dont l’Aclu et Fight for The Future.Patriot Act light, le Freedom Act divise républicains comme défenseurs des libertés. Il a même été surnommé « The Free-dumb Act », dumb signifiant « idiot ». Le New York Times souligne que cette nouvelle loi permet de maintenir la surveillance de masse au cas par cas. Reste à savoir si cela permet de déjouer des attentats. Dans un édito du 4 janvier -intitulé « Les libertés restreintes de la France », le quotidien a critiqué l’état d’urgence et la réponse sécuritaire mise en place par François Hollande après les attentats de Paris et de Saint-Denis. « L’effort mené pour diminuer les libertés civiles et mettre fin à la surveillance judiciaire ne fera qu’augmenter les risques d’abus de pouvoir, sans que cela assure la sécurité de la population. »

La guerre contre le terrorisme est l’un des thèmes phares de la campagne présidentielle américaine. Donald Trump estime que les États-Unis sont trop « politiquement corrects » avec les jihadistes et ne comprend pas pourquoi Barack Obama et Hillary Clinton sont si réticents à parler de « terrorisme islamiste ». Hillary Clinton lui reproche de servir de sergent recruteur pour les terroristes avec ses déclarations anti-islam.

Contre Daech, Trump a annoncé qu’il avait « un plan secret ». Il veut priver l’organisation de pétrole, maintenir une politique hostile aux musulmans et garder Guantanamo ouvert. « Le secret, c’est qu’il n’a pas de plan », ironise sa rivale, qui mise sur une intensification des frappes contre l’EI, un soutien à l’armée irakienne et des efforts pour combattre l’organisation sur Internet.

Hillary Clinton envisage aussi de créer une task force sur les loups solitaires et une loi pour interdire aux personnes figurant sur des listes de terroristes d’acheter une arme aux États-Unis. Soulagement ?

Belgique

La bombe politique des attentats de Paris n’a pas touché que la France. Dès le 19 novembre 2015, le Premier ministre belge, Charles Michel (centre-droit), dégainait lui aussi son « kit » antiterrorisme à 400 millions d’euros, avec 18 mesures destinées à renforcer la sécurité du plat pays : déploiement de 520 militaires sur le territoire, renforcement des contrôles aux frontières, élargissement des écoutes téléphoniques, fermeture de sites Internet appelant à la haine, affrètement d’une frégate dans la lutte contre Daech, etc. L’état d’urgence n’existant pas dans la constitution belge, le pouvoir, « redout[ant] des attaques similaires », finissait même par fermer métros, commerces et gares pour faire de la capitale une « ville morte » lors d’un week-end.

Las ! Toutes ces mesures n’empêcheront pas les attentats du 22 mars (32 morts et 340 blessés à l’aéroport de Bruxelles et à la station de métro Maelbeek). Elles n’empêcheront pas non plus Michel Sapin, ministre français, de fustiger la « naïveté » de « certains responsables politiques » belges. Un procès injuste puisque la Belgique est loin d’être dans le peloton de queue des pays sécuritaires. Dès les années 1990, un grand programme de réforme de la police est lancé, après que les tueries du Brabant wallon (28 morts) entre 1982 et 1985, puis l’affaire Dutroux en 1996, ont montré des dysfonctionnements dans les dispositifs policiers et judiciaires.

Après le 22 mars, les autorités belges présentaient un énième plan de renforcement des mesures sécuritaires : perquisitions 24 h/24, renforcement de la lutte contre le trafic d’armes et mise en place de nouvelles banques de données antiterroristes, censées colmater des failles notables dans les services de renseignement. Un dispositif superflu, estiment pourtant l’opposition, le Conseil d’État et la Commission de la vie privée, laquelle s’interroge sur « la nécessité […] de créer un nouveau cadre juridique à côté de ce qui existe déjà ».

Norvège

Un Premier ministre qui, au lendemain d’un attentat, appelle à ne surtout rien changer. Ce fait rarissime s’est déroulé en Norvège en 2011, au lendemain de la pire tuerie de masse dans le pays depuis la Seconde Guerre mondiale. « Notre réponse, c’est plus de démocratie, plus de tolérance, plus d’humanité », a déclaré Jens Stoltenberg, Premier ministre travailliste. Pourtant, avec 77 morts et 151 blessés, l’attentat commis par Anders Breivik le 22 juillet 2011 avait tout du cauchemar terroriste : des attaques coordonnées (une bombe explosant devant un bureau gouvernemental d’Oslo, une fusillade sur l’île d’Utoya lors d’un rassemblement de jeunes militants politiques), des policiers qui tardent à répondre, un tueur de sang-froid brandissant des théories néonazies…

Loin de déclarer la « guerre » au terrorisme, la Norvège a « répondu à la haine avec de l’amour », a souligné Jens Stoltenberg. Ni Patriot Act, ni modification de la législation, ni forces armées patrouillant dans les rues… Juste un renforcement réel mais discret du renseignement. « Le pays est en bien des points identique à ce qu’il était avant [la tuerie]_, et c’est une bonne chose »_, s’est félicité, à l’occasion de la commémoration des cinq ans du carnage, en juillet dernier, un ancien leader du Parti travailliste rescapé d’Utoya.

Incroyable mais vrai : depuis sa prison de Skien, où il purge la peine maximale (21 ans), Anders Breivik a réussi à traîner l’État devant la justice pour violation des droits de l’homme ! En cause, son isolement prolongé en cellule… « La décision n’a pas plu à tout le monde, mais n’a pas provoqué de tollé non plus », explique Yohann Aucante, spécialiste français des politiques scandinaves à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS).

Comment expliquer ce peu d’appétence de l’opinion publique norvégienne pour la réponse sécuritaire ? « Le pacifisme est très ancré en Norvège, avance le chercheur. Ce pays a peu été exposé aux guerres et il conserve une culture protestante dans laquelle l’idée de la rédemption existe. » D’où cette politique carcérale pour le moins originale et, semble-t-il, efficace, puisque le taux de récidive avoisine les 20 % (contre 40,1 % en France). On dénombre 70 personnes incarcérées pour 100 000 habitants (contre 130 en moyenne en Europe), souvent dans des prisons semi-ouvertes, voire autogérées.

L’archipel norvégien n’est pour autant pas à l’abri de toute dérive. Et même s’il continue à refuser de bannir la burqa de l’espace public, le pays des fjords, depuis quelques années, se montre moins ouvert. En 2013, le parti anti-immigration a réussi à accéder au pouvoir. Et rien ne dit que l’exception norvégienne survivrait à l’apparition d’un terrorisme endémique sur son sol.

Société Police / Justice
Publié dans le dossier
La sécurité contre le sécuritaire
Temps de lecture : 8 minutes

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