« Soy Nero », de Rafi Pitts : Dans l’ombre d’un drapeau

Dans _Soy Nero_, Rafi Pitts raconte l’histoire cruelle d’un jeune Mexicain s’engageant dans l’armée des États-Unis pour devenir américain.

Christophe Kantcheff  • 21 septembre 2016 abonné·es
« Soy Nero », de Rafi Pitts : Dans l’ombre d’un drapeau
© 2016/TWENTY TWENTY VISION FILMPRODUKTION.

Nero (Johnny Ortiz) a grandi aux États-Unis, à Los Angeles, mais en a été expulsé après le 11 septembre 2001, comme beaucoup d’immigrés mexicains. Il tente de repasser cette frontière étroitement surveillée avec l’idée de s’enrôler dans l’armée américaine, où, selon le « Dream Act » (sic) dû à George Bush junior, les migrants illégaux peuvent obtenir la « green card soldier », autrement dit la nationalité américaine, mais seulement quand ils retournent « chez eux » ou s’ils trouvent la mort.

Rafi Pitts, qui est lui-même à l’intersection de plusieurs pays – l’Iran, où il a grandi mais qui lui est désormais interdit, la Grande-Bretagne, où il a étudié, la France, où il vit –, s’interroge dans Soy Nero sur l’appartenance à une nation, non sans ironie. Quand Nero parvient enfin à déjouer la surveillance des gardes-frontières, dans une superbe séquence, c’est parce que ceux-ci sont distraits par un feu d’artifice. Ce (vain) divertissement est comme un emblème des États-Unis vus par le cinéaste.

De même, la maison de Beverly Hills où se trouve le frère de Nero – qui a toutes les peines à s’y rendre, car on ne peut imaginer qu’un jeune « pouilleux » mexicain puisse y être attendu – est un lieu luxueux de faux-semblants. Le temps d’une journée, ce sont là les barrières sociales qui sont transgressées, mais rapidement chacun est remis à sa place.

Puis, à la faveur d’une ellipse sèche, on retrouve Nero enfin sous les drapeaux US, avec sa patrouille, en train de surveiller un check-point. Quelque part au Moyen-Orient, en Irak probablement. Cet épisode tourne à la fable farcesque de plus en plus noire, qui a pour base une situation d’une ironie mordante : Nero, qui a multiplié les efforts pour passer une frontière presque infranchissable, est ici le gardien d’une délimitation aussi absurde que dangereuse. Mais le film va jouer d’un autre retournement de position pour pousser plus loin encore la noirceur de sa lucide cruauté.

Voici donc un film d’une impeccable pertinence politique sur les « déplacés », dont l’humour grinçant doit sans doute beaucoup au coscénariste de Rafi Pitts, le ­Roumain Razvan Radulescu (coscénariste de La Mort de Dante Lazarescu, par exemple). Outre que le Graal américain y prend un sacré coup, Soy Nero, dans sa narration même, surprend le spectateur là où il l’emmène : ce qui est aussi une manière de ne pas respecter les frontières d’un cinéma trop balisé.

Soy Nero, Rafi Pitts, 1 h 57.

Cinéma
Temps de lecture : 2 minutes