Un antidote aux idées fausses du FN

Pour contrer l’infusion des thèses d’extrême droite dans notre société, le journaliste Vincent Edin démonte méthodiquement ses principaux slogans.

Michel Soudais  • 21 septembre 2016 abonné·es
Un antidote aux idées fausses du FN
© Photo : Julien Pitinome / NurPhoto / AFP

Le Front national n’a plus le monopole de ses idées. La primaire organisée par Les Républicains (autoproclamés) l’illustre au quotidien. Même la majorité hollando-vallsiste n’est pas épargnée ; on l’a vu lorsque Manuel Valls avait déclaré que les Roms, inassimilables, avaient « vocation à revenir en Roumanie ou en Bulgarie », ou avec le débat sur la déchéance de nationalité. « La politique, expliquait déjà Jean-Marie Le Pen il y a plus de trente ans, consiste avant tout à peser sur son temps, sur les décisions du pouvoir, sur la pensée politique. Je pèse en m’exprimant, j’oblige toute la politique française à se droitiser, à se déterminer par rapport à moi. » La dédiabolisation du FN, dont on nous a assommés pour chanter les supposés mérites de Marine Le Pen, n’était rien d’autre qu’une banalisation de son discours.

Aujourd’hui, « les idées de l’extrême droite infusent dans des pans de plus en plus étendus de notre société », constate amèrement le journaliste Vincent Edin en introduction d’un essai consacré à la réfutation des idées fausses qu’elle propage [^1]. « Des secteurs que l’on considérait a priori comme à l’abri » leur sont devenus perméables, « même si c’est dans une moindre proportion que dans d’autres secteurs de la société », note-t-il en citant la fonction publique, l’éducation ou le monde syndical.

Cet ouvrage, d’à peine plus de deux cents pages au format de poche, ne cache pas sa visée militante. « On ne combat pas l’extrême droite en la singeant, en empruntant ses codes et ses sujets », y lit-on, mais bien plutôt « en montrant l’ineptie de son programme, de ses dogmes, de ses thèses et de ses idées ». Fort de cette conviction, l’auteur, dont l’entreprise a reçu le soutien de six syndicats (CGT, FSU, Solidaires, Unef, UNL, FIDL) et trois associations (LDH, Mrap, JOC), a listé 78 affirmations sur lesquelles il contre-argumente.

Parmi ces idées fausses, il en est de très classiques, comme l’affirmation popularisée par Éric Zemmour qui prétend que « les étrangers sont beaucoup plus délinquants que les Français », ou celle qui postule que « la colonisation française n’était pas un système injuste [et qu’]elle a produit de grandes choses ». Ou encore cette autre qui soutient que les travailleurs sans papiers n’auraient pas de fiches de paie, ne paieraient ni cotisations sociales ni impôts. En réponse à chacune de ces assertions, l’auteur déroule des arguments, parfois chiffrés quand des données statistiques existent, sociologiques ou historiques souvent, politiques à l’occasion. Ainsi, face à la rumeur qui voudrait que « la France accorde de plus en plus l’asile aux étrangers qui en font la demande », il rappelle que 80 % des demandes recevaient une réponse favorable dans les années 1970 quand, « aujourd’hui, 80 % d’entre elles débouchent sur un refus ». On regrettera la faible pertinence de certaines répliques, notamment celles répondant aux critiques sur l’euro et l’UE portées par un parti pris europhile, mais elles incitent alors le lecteur à chercher par lui-même un contre-argument plus convaincant.

Cette litanie serait indigeste si elle n’était servie par un découpage clair qui classe judicieusement ces mensonges, omissions ou falsifications historiques en sept parties restituant la trame du discours d’extrême droite : « On n’est plus chez nous » ; il y a « trop d’étrangers » ; on serait mieux « chacun chez soi » ; « les Français d’abord » ; « on n’est plus en sécurité » ; « avec le système, tout fout l’camp » ; « les solutions sont simples ».

Initialement publié dans une première édition en 2014, cet antidote reparaît cette semaine dans une version passablement revue et augmentée pour tenir compte de l’évolution du FN, qui a engrangé des succès électoraux, mais aussi des événements syriens, de l’irruption des réfugiés, de la poussée des partis nationalistes en Europe, des attentats et de leurs conséquences (état d’urgence, obsession identitaire), dont s’est grandement nourrie la pensée d’extrême droite pour se répandre. L’objectif de cet ouvrage est de contribuer à la campagne présidentielle de 2017, que menace l’extrême polarisation des débats autour des questions identitaires et sécuritaires. Une « soirée de mobilisation » était d’ailleurs prévue à l’occasion de la sortie du livre, mercredi 21 septembre, à la Bourse du travail de Paris, en présence notamment de Philippe Martinez (CGT), Bernadette Groison (FSU) et Françoise Dumont (LDH). Signe de l’utilité de cet antidote.

[^1] En finir avec les idées fausses propagées par l’extrême droite, Vincent Edin, Éditions de l’Atelier, 224 p., 6 euros.

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