Jean Garrigues : « La présidentielle est le but suprême d’une carrière politique »

L’historien Jean Garrigues analyse les raisons de la volonté irrésistible des présidents de se représenter.

Olivier Doubre  • 12 octobre 2016 abonné·es
Jean Garrigues : « La présidentielle est le but suprême d’une carrière politique »
© Photo : DOMINIQUE FAGET / AFP

Le cadre institutionnel de la Ve République, avec une telle concentration des pouvoirs à l’Élysée, incite très fortement le président en exercice à briguer un nouveau mandat, selon l’historien Jean Garrigues. Même dans un passé plus lointain, explique-t-il, il existe très peu d’exemples de renoncement à se représenter.

Aujourd’hui, un président « normal » doit-il forcément briguer deux mandats à -l’Élysée, surtout depuis que nous sommes passés au quinquennat ?

Jean Garrigues : Pas forcément, mais c’est un usage qui s’est développé sous la Ve République : il est quasiment de tradition que les présidents de la République en exercice se considèrent comme des candidats naturels à leur succession, dans une sorte d’héritage monarchique. Cela se justifiait éventuellement pour le général de Gaulle, puisqu’il n’avait pas été élu la première fois, en 1958, au suffrage universel, selon la première version de la Constitution de la Ve République. Il a donc estimé que se présenter devant le peuple en 1965 lui donnerait une assise et une légitimité nouvelles. Depuis, l’usage s’est installé sans correspondre forcément à une nécessité politique ressentie par le corps électoral. J’en veux pour preuve les deux présidents qui ont été battus la seconde fois : Valéry Giscard d’Estaing et Nicolas -Sarkozy.

Vous avez parlé d’« obsession élyséenne »…

Je crois que celle-ci est liée à la nature de nos institutions : sous les IIIe et IVe Républiques, le but d’une carrière n’était pas vraiment la présidence de la République : celle-ci représentait plutôt une semi-retraite honorifique pour des hommes politiques qui avaient eu une longue carrière. Le but était alors bien plus la présidence du Conseil, d’où l’on dirigeait le gouvernement. Sous la Ve République, avec la présidentialisation, c’est évidemment devenu le but suprême d’une carrière politique. Cela s’est renforcé avec la réforme de 1962 (prévoyant l’élection au suffrage universel) mais davantage encore avec le passage au quinquennat en 2000 et, surtout, le couplage avec les élections législatives, qui suivent désormais la présidentielle. Depuis, le chef de l’État est également un chef de gouvernement et même un chef de majorité parlementaire.

Si tous veulent se représenter, est-ce parce que la tentation est trop forte du fait de la concentration des pouvoirs si importante en la personne du président ?

Sans aucun doute. Avec cette culture monarchique affirmée du pouvoir politique en France. Il y a là une conception d’un cursus honorum qui se doit de déboucher sur cette fonction suprême bénéficiant de pouvoirs particulièrement étendus, sans commune mesure avec les autres pays européens, où il y a presque toujours un découplage entre la fonction de chef de l’État, incarnant l’unité de la nation, et celle de gestion et de commandement. En France, c’est la fusion de ces deux fonctions qui fait que le palais de l’Élysée est si prisé. C’est un problème institutionnel et culturel.

Jusqu’ici, aucun président de la Ve République n’a renoncé à se représenter pour un second mandat. Mais y a-t-il des exemples, dans l’histoire française, d’hommes politiques qui se seraient refusés à briguer la présidence ?

Il y a évidemment Clemenceau, mais le cas est particulier puisqu’il avait été deux fois président du Conseil, la fonction la plus importante alors. Et, s’il n’a pas brigué la présidence de la République, c’est parce qu’il était certain d’être battu. Précisons qu’alors le président était élu par les deux Chambres réunies, et non au suffrage universel. Dans son cas, ce n’est donc pas vraiment un renoncement mais plutôt une mise à l’écart volontaire.

On pourrait dire que le renoncement au pouvoir le plus spectaculaire a été celui de Jacques Delors en 1994 : c’est tout à fait rare et inhabituel, alors qu’on pouvait penser que la campagne présidentielle se présentait favorablement pour lui. À part cela, j’ai du mal à trouver des exemples.

Le refus du pouvoir est donc extrêmement rare dans le système politique français, où existe cette culture monarchique mais aussi oligarchique. Quand on est au pouvoir, on y reste !

Est-il envisageable que François Hollande renonce à se présenter ?

C’est envisageable s’il considère que la probabilité de sa réélection est nulle. Comme dans le cas de Georges Clemenceau en 1920, que nous venons d’évoquer, ce serait renoncer par lucidité politique.

Jean Garrigues Professeur à l’université d’Orléans et à Sciences Po, président du Comité d’histoire parlementaire et politique. Dernier ouvrage paru : Élysée circus. Une histoire drôle et cruelle des présidentielles (avec Jean Ruhlmann), Tallandier, 320 p., 19,90 euros.

Politique
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