Présidentielle : Quelle voix pour l’écologie ?

Affaibli, le parti écologiste n’entend pas renoncer à défendre ses idées lors de la présidentielle de 2017. Quatre candidats sont en lice.

Patrick Piro  • 5 octobre 2016 abonné·es
Présidentielle : Quelle voix pour l’écologie ?
© Photo : Catherine Leblanc / Godong / Photononstop.

On affichait une certaine satisfaction lundi dernier à la direction d’Europe écologie-Les Verts (EELV) : au 1er octobre, clôture des inscriptions, plus de 10 000 sympathisants s’étaient enregistrés pour participer à la primaire organisée par le parti pour désigner son représentant à la présidentielle du printemps prochain, moyennant 5 euros de contribution et l’adhésion à une charte de principes. « C’est plus que le nombre de nos adhérents », souligne Sandra Regol, porte-parole d’EELV. Ces derniers, au nombre de 7 000, sont inscrits d’office. Le corps électoral compte donc 17 000 personnes, quand la direction en visait 15 000, pour 10 000 votants – objectif largement envisageable. Pour autant, pas de fanfaronnade : en 2011, la primaire écologiste, qui avait placé Eva Joly devant Nicolas Hulot contre toute attente, avait enregistré 33 000 inscrits, dont 14 000 adhérents EELV, et 25 000 votants.

Le parti, endetté, n’a par ailleurs consacré que 20 000 euros à l’opération. Et la campagne d’appel à participer a été courte puisque la décision d’organiser une primaire, validée par le congrès de juin dernier, n’a été confirmée que fin août : il avait été tacitement entendu qu’elle serait caduque dans le cas où Nicolas Hulot, dont le nom semblait cette fois-ci largement consensuel au sein d’EELV, déciderait de se présenter à la présidentielle – l’écologiste n’ayant nullement l’intention de repasser par une primaire.

Après le renoncement de Hulot en juillet dernier, Cécile Duflot avait présenté comme « naturelle » sa candidature, qu’elle prépare depuis un an, réfutant l’idée d’une primaire « fratricide et plombante ». Avant de reculer et d’accepter un vote des sympathisants, devant l’irritation suscitée par ce qui est apparu comme une tentative de passage en force. En lice, donc, avec l’ancienne ministre du -Logement : Karima Delli, Yannick Jadot et Michèle Rivasi [^1].

© Politis

Karima Delli

Karima Delli s’est récemment convaincue « d’y aller ». À 37 ans, la jeune eurodéputée, issue d’une famille nombreuse immigrée de Roubaix, se veut porte-voix d’une écologie « populaire ». « Dans une société qui stigmatise le burkini, elle incarne l’esprit de la Révolution contre le nationalisme des “Gaulois”, la diversité, le dynamisme des banlieues, les luttes de terrain », explique Alain Lipietz, qui la soutient.

Cécile Duflot

Cécile Duflot semble la mieux préparée. À 41 ans, elle peut se prévaloir de sa notoriété et de son expérience – dirigeante du parti, députée, ministre. Elle a organisée de longue date son équipe et vient de mettre à sa tête la militante féministe Caroline De Haas. Elle se risque à professer que l’heure est venue d’une présidence écologiste pour la France. « Candidate de combat, elle est capable de crever l’écran », défend Marine Tondelier.

Yannick Jadot

Yannick Jadot est régulièrement monté en puissance ces dernières années. À 49 ans, bonne prestance en public, il affiche un parcours de directeur de campagne à Greenpeace et d’eurodéputé, bon connaisseur des dossiers. Éva Sas croit en lui pour son potentiel de conviction des milieux associatifs et territoriaux : « Il incarne une écologie positive, non punitive. Il peut relancer la dynamique de l’écologie politique en France. »

Michèle Rivasi

Michèle Rivasi est une militante infatigable. À 63 ans, l’eurodéputée s’appuie sur une expérience institutionnelle et un riche parcours associatif remontant à la création de la Criirad, premier laboratoire indépendant de mesure de la radioactivité, après Tchernobyl. Jacques Boutault apprécie son activité « centrale » contre les lobbys industriels, « qui configurent à leur main un monde antidémocratique ».

Ce processus démocratique, dont le parti se plaît à rappeler qu’il a été le premier à l’instaurer, est cependant un recours pratique pour dissimuler un « point aveugle » du débat, estime le député écologiste Sergio Coronado. « Les postulants sont tous issus d’EELV. Nous ne sommes pas en mesure, actuellement, de susciter une candidature porteuse de l’écologie politique en dehors du périmètre du parti. » Pour concourir à la primaire, il fallait réunir au moins 36 parrainages de conseillers fédéraux EELV (parmi 240), ce qui handicapait par avance les ambitions extérieures. « Et Nicolas Hulot, seule personnalité potentielle issue de la société civile, nous étions prêts à l’exonérer de primaire. Tout cela traduit bien la faiblesse actuelle de notre mouvement. »

Les difficultés rencontrées par Michèle Rivasi pour rassembler ses parrainages avant le 31 août, date limite pour les candidats, témoignent non pas de doutes sur la carrure politique de la députée européenne, mais de l’effet d’une trop faible implication dans les affaires du parti, expliquaient des militants lors des Journées d’été d’EELV fin août, à Lorient, intériorisant ainsi les limites de cette primaire.

Le vain baroud de Cécile Duflot, cet été, traduisait une maladroite tentative d’échapper à ce repli, qui ramène le principal mouvement d’écologie politique en France à son état d’avant 2009, quand la création d’Europe Écologie puis sa fusion avec Les Verts avaient donné un temps l’espoir d’une ouverture et d’une réelle interaction du parti avec le monde des sympathisants non encartés. « Nos idées sont majoritaires dans la société française », se plaît à répéter Karima Delli pour justifier l’existence d’une candidature légitimement écologiste en 2017.

Cet argument avait déjà cours en 2012, quand Eva Joly était sortie éreintée du premier tour avec 2,31 % des voix seulement. Dès lors, cette primaire est-elle compréhensible aux yeux d’un public qui pourrait reprocher aux écologistes de contribuer à éparpiller les voix, alors que se profile le scénario catastrophe d’un second tour opposant Marine Le Pen au candidat de la droite ? Cette lecture culpabilisante, dont la logique poussée à son extrémité conduirait à soutenir le champion désigné par le parti dominant à gauche, a le don d’échauffer les écologistes. « Il faudrait donc s’en remettre au candidat socialiste et donc probablement à François Hollande ? Mais son bilan est indéfendable ! – écologie, accueil des réfugiés, projet de déchéance de nationalité, loi travail, etc. », s’élève Julien Bayou, porte-parole d’EELV.

Cécile Duflot se serait bien vue dans le rôle de la personnalité capable de rallier à gauche du PS et au sein de l’écologie, mais Jean-Luc Mélenchon a été le plus rapide. Envisager un ralliement au fondateur du Parti de gauche, à la pensée écologisée et dont certains sondages suggèrent qu’il pourrait arriver en tête des candidats de gauche ? Son soutien à Poutine ou sa critique des travailleurs détachés « qui volent le pain des travailleurs qui sont sur place » rebutent de nombreux écologistes, tel Yannick Jadot, qui a vu la candidature en solo de Jean-Luc Mélenchon dynamiter le projet d’une « grande primaire de la gauche et de l’écologie », dont il était l’un des promoteurs, début 2016, et potentiel bénéficiaire.

Et peut-on fantasmer sur la renaissance d’un projet de candidature commune soutenue par un front élargi, dans le cas, par exemple, où Nicolas Sarkozy serait le candidat de la droite ? Alain Lipietz n’y croit plus. « Pour quel bénéfice un Mélenchon ou un candidat socialiste accepteraient-ils de rebattre les cartes ? Dès lors, autant nous consacrer à défendre nos thèses. » Et puis l’expérience l’a montré, résume la députée EELV Éva Sas, « quand il n’y a pas de véritable écologiste en lice, on ne parle pas d’écologie ».

Plus largement, le paysage politique ne se réduit pas « à un affrontement entre gauche et droite, estime David Cormand. Alors que ces deux modèles sont en échec, nous avons un espace politique propre à défendre. Et, dans cette époque troublée, la clarté de nos idées et leur valeur humaniste sont d’autant plus nécessaires au débat démocratique ».

Ce n’est pas sur le terrain des propositions que les quatre candidats à la primaire se différencieront, et c’est classique au sein du parti écologiste, où le contenu programmatique rallie en général sans difficulté. Conversion écologique de l’économie, transition énergétique, réduction du temps de travail, revenu de base universel, légalisation du cannabis : aucune contradiction n’a été relevée lors d’un premier débat télévisé organisé le 27 septembre sur les chaînes LCP et Public Sénat [^2]. Quelques nuances tout au plus sur la radicalité de la réforme institutionnelle, que tous orientent vers un renforcement du rôle du Parlement, élu avec une dose significative de proportionnelle, ainsi qu’une réduction des pouvoirs du Président. Karima Delli veut lancer « dans les trois mois après son élection » un référendum pour décider de l’écriture d’une nouvelle constitution « participative ». Cécile Duflot préférera engager des « modifications » du texte fondamental, comme Yannick Jadot. Michèle Rivasi mettrait en avant les « initiatives citoyennes ».

C’est finalement sur la stratégie électorale que sont apparues des options plus clairement distinctes. Les quatre candidats sanctionnent sans hésiter le quinquennat actuel, y compris Cécile Duflot. À laquelle personne sur le plateau n’est venu reprocher ses deux années à la tête du ministère du Logement ni les circonstances de son départ, dont elle a largement décidé seule. Karima Delli, soutenue par l’aile gauche du parti, opposée à la direction, rappelle cependant son désaccord avec le pacte électoral signé en novembre 2011 entre EELV (sous la gouverne de Cécile Duflot) et le PS, et dont François Hollande n’avait tenu compte qu’à la marge. La jeune eurodéputée rejette le plus nettement toute perspective d’alliance avec le PS avant le premier tour de la présidentielle, tout comme Michèle Rivasi, qui envisage cependant une « plateforme » avec des partenaires pour les législatives qui suivront. Députée de Paris, et qui aurait à batailler pour conserver son siège face à des socialistes revanchards, Cécile Duflot semble y penser fort aussi, ne dissociant pas l’autonomie de l’écologie du « dialogue », car « on n’y arrivera pas tout seuls ».

Tous les observateurs s’accordent à voir en elle – qui domine EELV en influence depuis son premier mandat de secrétaire nationale en 2006 – la favorite du premier tour de la primaire. C’est la cible de Karima Delli quand elle fustige les « tactiques politiciennes et les stratégies totalement illisibles » qui ont détourné les électeurs du vote écologiste. Yannick Jadot, qui envisage lui aussi « d’aller jusqu’au bout » s’il est désigné, est considéré comme l’outsider principal. Et nullement faire-valoir d’un second tour, qui pourrait se crisper en un « tout sauf Duflot », traquenard auquel la candidate « naturelle » tente d’échapper depuis le début.

Yannick Jadot l’a bien compris, qui a insisté lors du premier débat télévisé sur son ambition de tourner la page de dix années d’échec de l’écologie politique, et de « rompre avec l’image politicienne qui nous a abîmés » pour rallier les écologistes « déçus d’EELV ».

[^1] Vote par correspondance, clos le 17 octobre pour le premier tour, résultat le 19. Le second tour (sauf si majorité absolue) sera clos le 4 novembre, résultat le 7.

[^2] Le second est prévu le 6 octobre sur BFMTV.

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