Tribunal Monsanto : « Dire le droit »

Même sans valeur contraignante, le Tribunal Monsanto s’appuie sur le vrai droit international et pourrait le faire progresser.

Patrick Piro  • 19 octobre 2016 abonné·es
Tribunal Monsanto : « Dire le droit »
© Photo : M. Velasquez/Anadolu/AFP

Mais où est la défense ? Un tribunal symbolique, à quoi ça sert ? Invitée, la firme n’y a envoyé aucun représentant. « Mascarade », commente sans surprise son « Comité directeur pour les droits de l’homme ».

À La Haye, les gens de l’art juridique sont en mission pédagogique. « Cet événement est un tribunal d’opinion, pas un procès, les juges ne prononceront pas de sentence, il s’agit pour eux de dire le droit », insiste la magistrate belge Françoise Tulkens, qui préside l’audience entourée de quatre autres professionnels réputés : Dior Fall Sow (Sénégal), Jorge Fernández Souza (Mexique), Eleonora Lamm (Argentine) et Steven Shrybman (Canada). À savoir : est-ce que Monsanto respecte les règles de droit international – droits humains, de l’environnement, etc. – et de droit privé – chartes, codes de bonne conduite, engagements… un droit « mou » (non obligatoire) par opposition à un droit « dur » doté d’une force contraignante ?

Mayas et abeilles, même combat

Écoute polie des juges, quand l’expertise technique des témoins laisse peu de place à leurs commentaires. Soudain, leurs questions sortent en rafale avec le cas des apiculteurs mayas, qui s’ancre sur un texte emblématique du droit international : la convention 169 du Bureau international du travail (BIT), laquelle protège les peuples indigènes. En août 2014, il a permis à la justice mexicaine d’interdire l’usage du Roundup sur près de 250 000 hectares dans le Yucatán. Eau potable polluée, malaises fréquents, rapportent Angelica El Canche et Feliciano Ucan Poot. Et puis le miel est contaminé par du pollen transgénique : en 2012, la plantation de soja OGM est autorisée, en dépit de mises en garde environnementales. L’Allemagne renvoie une cargaison, non conforme. Alerte économique : le Mexique est le troisième exportateur mondial de miel et l’Europe, premier marché de 15 000 familles mayas, menace de se fermer.

« Hélas, le jugement n’a défini aucune indemnisation, regrette Maria Colin, avocate_. Rien sur le principe de précaution, le respect de la santé, le droit du travail ou la destruction des forêts pour planter du soja, il ne consacre que le droit des indigènes à être écoutés. »_ Monsanto a bien sûr fait appel de l’interdiction.

Après l’écoute des témoins et des experts, les juges délivreront un avis d’autorité [^1]. « Il n’aura certes qu’une valeur consultative, mais il sera fondé sur la réponse étayée à six questions bien réelles », poursuit Françoise Tulkens. Au regard de conventions et de pactes internationaux, la firme a-t-elle porté atteinte aux droits : à un environnement sûr, propre, sain et durable ? À l’alimentation ? Au « meilleur état de santé » auquel chacun peut prétendre ? À la liberté de recherche scientifique ? S’est-elle rendue complice d’un crime de guerre ? Ou d’écocide (atteinte sévère à l’environnement, altérant des communaux dont dépendent certains groupes humains) ?

L’avis du Tribunal Monsanto – deux ans de préparation, à l’initiative de la réalisatrice Marie-Monique Robin [^2] – aura une portée juridique, « à même de faire progresser le droit international, défend Corinne Lepage, avocate et ancienne ministre. Il pourra servir aux populations pour contester Monsanto ».

L’avocat William Bourdon insiste sur la « vraie valeur » du droit « mou », qu’un courant judiciaire actuel tend à reconnaître dans un mouvement « irréversible » de réduction de l’antagonisme avec le droit « dur ». « La société pousse à ce que la responsabilité des multinationales soit caractérisée à l’aune de leurs engagements privés tout autant qu’au respect du droit international. Leur sphère d’influence dépasse celle des États, infiltre et contamine leur parole. Elles sont dans la toute-puissance et n’assument rien ! »

En ligne de mire, la quête d’une criminalisation de l’écocide. Coïncidence ? Mi-septembre, la Cour pénale internationale (CPI, à La Haye), indique qu’elle s’intéressera « particulièrement » aux crimes entraînant des ravages écologiques, le pillage de ressources naturelles ou l’accaparement de terres. Une avancée remarquable, saluent les ONG, mais dans le domaine d’intervention de la CPI – les crimes de guerre. Elle ne pourrait pas se saisir du cas des apiculteurs mayas (voir ci-dessous). Faut-il élargir ses compétences pour y faire entrer l’écocide ? Créer un tribunal international dédié aux crimes environnementaux ? « Une nouvelle approche du droit international est en gestation », souligne Émilie Gaillard, professeure de droit.

[^1] Le 10 décembre a priori

[^2] Auteure notamment de Le Monde selon Monsanto, La Découverte (2008).

Écologie
Temps de lecture : 3 minutes