Le nazisme au présent

Dominique Pitoiset transpose Arturo Ui de Brecht dans la France d’aujourd’hui.

Gilles Costaz  • 16 novembre 2016 abonné·es
Le nazisme au présent
© Photo : Cosimo Mirco Magliocca

Après leur merveilleux accord autour du Cyrano de Bergerac de Rostand (où Cyrano était un fou qui se prenait pour Cyrano), Philippe Torreton et le metteur en scène Dominique Pitoiset s’associent pour une nouvelle aventure : une interprétation moderne de La Résistible Ascension d’Arturo Ui de Bertolt Brecht, dans la traduction de Daniel Loayza. Créé à Bonlieu, scène nationale d’Annecy, le spectacle s’est installé aux Gémeaux de Sceaux, avant une longue tournée.

Dans la pensée de Brecht, il s’agit tout simplement de conter l’arrivée d’Hitler et de son entourage comme la prise de l’Allemagne par une bande de gangsters. Le président du pays se laisse marcher dessus par un jeune arriviste au discours moralisateur, et les crimes se multiplient au gré de la paranoïa des nazis. Pitoiset entreprend de nous montrer, en plaçant la pièce dans la France d’aujourd’hui, que le fascisme nous guette et qu’il est même déjà là.

La scène unique est une morgue avec ses tiroirs où sont allongés les cadavres (on distingue les pieds des morts là où les niches sont restées ouvertes). Devant ces placards gris, les hommes politiques s’affrontent autour d’une grande table. Des vidéos retransmettent des extraits d’Aïda (le « Chant de la liberté »), des images de synthèse où des figurines miment une vie de pure jouissance, des séquences d’actualité où les autonomes affrontent les forces de police à Paris, l’inscription sur le drapeau français des trois mots d’ordre qui, selon le metteur en scène, sont en train d’abattre la démocratie : Autorité, Inégalité et Identité. La soirée s’achève avec le chœur des personnages mimant la parole mais restant sans voix, comme si le fascisme avait mis fin aux propos individuels.

L’interprétation de Torreton est musclée, et ce comédien intrépide est entouré d’une belle brochette d’acteurs : Daniel Martin, Pierre-Alain Chapuis, Nadia Fabrizio, Hervé Briaux… Le parti pris et le dispositif n’en sont pas moins très raides. On voit bien que Pitoiset dénonce l’autoritarisme rampant ou éclatant du FN, de la droite et de la gauche. « Allons-nous dire oui à Arturo Ui ? », demande le dernier écriteau. Mais assimiler 1935 et 2016 ne se fait pas sans des distorsions discutables. On aime bien cette fureur tous azimuts, mais elle n’entre pas dans la complexité des réalités politiques. On aurait préféré une lecture plus souterraine à ces coups de poing un peu rapides. Ne vaudrait-il pas mieux monter des auteurs d’à présent (Massera, Bégaudeau, Richter et d’autres) que de plaquer ses idées sur ce bon vieux Bertolt Brecht ?

La Résistible Ascension d’Arturo Ui, Les Gémeaux, Sceaux (92), 01 46 61 36 67. Puis en tournée.

Théâtre
Temps de lecture : 2 minutes