Trump : « La ligne de fracture est raciale »

Redonner du pouvoir à l’homme blanc mais aussi endiguer le sentiment de déclassement des classes populaires et moyennes américaines : l’américaniste Sylvie Laurent s’interroge sur la recette Donald Trump, la société qu’il dessine et la nécessité de réagir.

Ingrid Merckx  • 14 novembre 2016 abonné·es
Trump : « La ligne de fracture est raciale »
© Photo : SAUL LOEB / POOL / AFP.

Sexisme, misogynie, racisme, nativisme… Sylvie Laurent analyse en quoi le vote Trump satisfait le fantasme de l'homme blanc hétérosexuel dominant qui avait face à lui une femme riche de la côte Est, plus forte et donc humiliante. Caricature rendue célèbre et transparente par la télévision et les réseaux sociaux, le candidat Trump a su se montrer rassurant pour les déclassés de toutes origines. Paradoxalement, car le programme du milliardaire compte les mesures les plus inégales qui soient. L'occasion pour l'auteur d'une biographie de Martin Luther King et d'un essai intitulé La Couleur du marché*, d'en appeler au sursaut des mouvements sociaux.

Le « pauvre Blanc » américain auquel vous avez consacré un essai (Poor White Trash, la pauvreté odieuse du Blanc américain, 2011) est-il celui qui a donné sa victoire à Donald Trump ?

Sylvie Laurent : C’est ce que beaucoup ont affirmé, à rebours d’une observation fine des résultats. Toutes les classes sociales se sont retrouvées dans une coalition favorable à Trump et d’ailleurs, cette dernière est en moyenne plus aisée que la coalition Clinton. La classe ouvrière précaire a d’abord voté Sanders, puis Clinton. La véritable ligne de fracture est raciale : le camp Trump rassemble des Blancs dont le sentiment d’identification et d’appartenance culturelle transcende les frontières géographiques, sociales et, plus étonnant encore, de sexe. Les femmes, même éduquées, se sont ralliées au candidat misogyne. C’est un paradoxe particulièrement intéressant pour comprendre les tensions qui traversent la société américaine à l’issue de trente années de délitement civique sous les coups des inégalités sociales.

Vous avez écrit qu’il fallait prendre garde à « la faribole d'une Amérique "post-sexiste" » dont l'élection d'Hillary Clinton aurait été le signe. Comment comprendre le vote de tant de femmes pour Donald Trump ?

S.L. : Les électeurs mais aussi les électrices de Donald Trump nourrissent l'espoir de revenir à une période où l'homme moyen blanc assurait la sécurité de la famille, selon un modèle patriarcal attaché à l’ère des Trente Glorieuses. Jusqu’aux années 1970, l’Amérique était profondément inégalitaire en matière de genre et de race mais les repères sociaux étaient assurés par des institutions fortes (l’Église, le syndicat, le réseau social) et le pater familias promettait l’ascension sociale à ses enfants grâce à un salaire lui permettant de financer leur éducation supérieure. Tout cela est révolu.

À l’ère de la vulnérabilité économique (qui, à la différence de la précarité touche la majorité de la population, y compris la classe moyenne encore aisée) et du dépérissement des institutions porteuses de cohésion sociale, la masculinité est en crise et elle a partie liée avec la question raciale. Or, si le père de famille blanc est déstabilisé dans ses fonctions

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