« Fais de beaux rêves », de Marco Bellocchio : Une promesse de l’aube

Avec Fais de beaux rêves, le cinéaste italien Marco Bellocchio revient sobrement mais de manière poignante sur le thème intime et universel de la mort de la mère.

Jean-Claude Renard  • 21 décembre 2016 abonné·es
« Fais de beaux rêves », de Marco Bellocchio : Une promesse de l’aube
© Simone Martinetto

Les images un peu jaunies, d’un autre temps, filent comme de fragiles phalènes. Dans le grand salon de l’appartement, un gosse de 8 ou 9 ans danse un rock endiablé avec sa mère. On le retrouve enfoncé dans le canapé devant un épisode de Belphégor ou le fantôme du Louvre, inquiétant et mystérieux, qui le pousse à se blottir contre sa mère. Des guirlandes de Noël clignotent sur le sapin. « Fais de beaux rêves », qu’elle souffle tendrement à l’oreille de son fiston quand il s’endort dans sa chambre. Un moment plus tard, un prêtre lui soufflera d’autres mots : « Ta mère est au paradis. » Il n’y aura pas de rêves, mais peut-être bien un long cauchemar.

Une vingtaine d’années plus tard, journaliste accompli, -Massimo revient dans l’appartement familial, qu’il doit revendre. D’autres souvenirs lui reviennent en mémoire, d’une mère aimante aux jeux avec elle, des souvenirs chargés de crises d’angoisse.

Après Nanni Moretti avec Mia Madre, en 2015, voilà un autre réalisateur italien qui s’attelle à la mort de la mère. Sujet à la fois universel et intime. Mais, ici, traité différemment par Marco Bellocchio, adaptant le livre à succès de Massimo Gramellini, Fais de beaux rêves, mon enfant (2012), récit autobiographique d’un grand reporter hanté par la disparition de sa mère. Nanni Moretti avait choisi d’aborder le sujet dans l’urgence de cette disparition, cette commotion insoutenable. A 77 ans, après une vingtaine de films (son premier, Les Poings dans les poches, date de 1965), Marco Bellocchio propose un regard en plusieurs temps (pour évoquer finalement la même chose, l’affrontement avec l’arrachement), croisant les époques, passant d’une décennie à l’autre, de l’enfance à l’âge adulte, créant une dynamique constante entre avant et après, hier et aujourd’hui.

Ce sont d’abord les années 1969-1970, à Turin, quand Massimo (Nicolò Cabras, rappelant aisément L’Incompris, de Luigi Comencini) se replie dans le déni, refuse cette mort injuste trop tôt tombée, à laquelle il ne veut pas croire, et demande d’aller ouvrir le cercueil pour vérifier que sa mère est bien dans la boîte ; quand il grandit seul auprès de son père, qu’il accompagne au stade de foot supporter le Toro, le club rival historique de la Juventus ; quand il commente, comme à la radio, un match imaginé dans sa tête.

Ce sont encore les années 1990 quand Massimo (Valerio Mastandrea, extraordinaire) est journaliste sportif, avant de devenir reporter de guerre pour La Stampa, dans les méandres de Sarajevo, et donc confronté à d’autres morts. Ce sont enfin ces moments de retour dans l’appartement familial, froid, définitivement endeuillé, et le flot d’images qui remontent, amenant des « tachycardies paroxystiques ».

Drame intimiste poignant autour de la perte et de l’éclatement familial (thèmes courants du cinéaste, sans manquer -cependant de légèreté), Fais de beaux rêves livre ainsi la construction d’un homme, ou sa reconstruction, sur trois décennies, oscillant entre les lieux. Sûr de sa mise en scène, rigoureuse et sans fard, avançant par petites touches, -Bellocchio renforce le romanesque par le sens du coup de théâtre, des parts d’ombre et des petits secrets de famille, ajoutant même une dose d’amour censée peut-être répondre enfin à cette fameuse « promesse de l’aube », selon l’expression de Gary, cette promesse que constitue toute mère pour son enfant.

Ça vaut bien un sourire, ce sourire maternel qui accompagne Massimo des tribunes d’un stade (qui fait face à l’appartement) au poste de télévision trônant dans le salon, semblant toujours allumé (où l’on aperçoit, au détour des émissions des années 1970, Ugo Tognazzi et Vittorio Gassman), jusqu’à une danse effrénée entamée à l’occasion des noces de diamant d’un vieux couple. Comme une délivrance.

Fais de beaux rêves, Marco Bellocchio, 2 h 10. En salles le 28 décembre.

Cinéma
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