La saison des vœux

Certes, concèdes-tu, Vladimir est un peu râpeux, mais bon, en même temps, il fait le job…

Sébastien Fontenelle  • 21 décembre 2016 abonné·es
La saison des vœux
© NATALIA KOLESNIKOVA / AFP

Quand George W. Bush, après 2001, a lancé des expéditions guerrières contre l’Afghanistan puis contre l’Irak, tu as trouvé ça infâme. Et comme tu as eu raison ! Quand il a produit, pour justifier ces aventures meurtrières, l’alibi de la guerre contre le terrorisme, tu as trouvé ça répugnant. Et comme tu as eu raison !

Quinze ans plus tard, tu as pas mal changé, mon gars. Tu es plus que jamais drapé dans la proclamation que tu incarnes, seul ou presque, la vraie « gauche » – mais, quand on se penche d’un peu près sur ta production récente, on y renifle quelques exhalaisons discrètement incommodantes.

Par exemple : quand Poutine – après s’être naguère un peu longuement échauffé en Tchétchénie – lance une expédition guerrière contre la Syrie, quand il produit, pour la légitimer, le so bushist argument de la war against terror, tu es soudain beaucoup moins sévère que tu ne l’es coutumièrement – et à très juste droit – quand tu admonestes les Yanquis.

Certes, concèdes-tu : Vladimir est un peu râpeux dans ses rapports à l’Autre. Et il est vrai aussi que son pote Bachar fait de la torture un usage un peu extensif. Mais bon, en même temps, ces deux-là font le job, expliques-tu. Sans eux, fais-tu valoir, l’État islamique (EI) régnerait en maître sur d’entiers pans de l’Orient [^1].

En somme, tu dis là de la merde – pardon de te le remontrer un peu vivement. Te voilà tout d’un coup rendu à la même fière devise qui te fait vomir à longs traits quand l’Oncle Sam s’en fait une toge, et qui se résume comme suit : ne soyons tout de même pas trop regardant-e-s sur les moyens, la fin est trop ravissante.

Et, maintenant que j’y réfléchis, ce n’est pas la première fois que je te vois riper. Je me rappelle aussi de l’époque où la xénophobie te mettait hors de toi – et où jamais (au grand jamais) tu n’aurais fait le moindre tri parmi celles et ceux qu’elle se donnait pour cibles. Mais cela aussi est révolu : je te vois depuis quelques mois tenir des discours sinueux lorsqu’il est question des « migrants », et communier avec la droite, sous le si commode couvert de ton laïcisme « républicain », dans la forgerie journalière d’une défiance antimusulmane.

Et ça commence à faire beaucoup – mais il paraît que la fin de l’année est un moment propice à l’émission de vœux pour celle qui viendra ensuite : puis-je alors former ici celui que l’an prochain tu te reprennes, et comprennes vitement que, par les si roides époques que nous vivons, tes concessions à l’air dégueulasse du temps sont d’un désagréable effet ? 

[^1] Comme le soulignait ici-même Denis Sieffert dans son édito de la semaine dernière : Assad et Poutine prétendent libérer de l’EI des villes où l’EI n’est pas. En vrai, pendant qu’ils écrabouillaient Alep, l’État islamique a tranquillement repris Palmyre – t’as vu ? Mais bon, depuis que t’as découvert et assimilé en trois jours les subtilités infinies de la realpolitik, tu ne souhaites peut-être plus forcément t’embarrasser de trop d’arguties ?

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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