Youtubeur, un plan pas net

Idoles des jeunes, parfois millionnaires, les vidéastes du Web font rêver. Mais quelques réussites flamboyantes ne doivent pas éclipser une réalité moins rutilante.

Julia Gualtieri  • 21 décembre 2016 abonné·es
Youtubeur, un plan pas net
© Squeezie/Youtube

« J’ai commencé il y a quatre ans, Norman gagnait un Smic et je n’aurais jamais imaginé en vivre moi-même », raconte DanyCaligula, 24 ans, créateur de « Doxa », une chaîne culturelle de philosophie et de politique de 100 000 -abonnés.

YouTube : la notoriété et le succès, à portée de clic ? La carrière fait en tout cas rêver les ados, de plus en plus nombreux sur la plateforme de Google. Mais combien gagnent les vidéastes avec leurs chaînes ? Difficile de le savoir : outre les clauses de confidentialité, YouTube refuse de donner une moyenne. Or, les estimations des médias sont trompeuses. Selon eux, Squeezie, youtubeur francophone très actif et populaire, gagnerait 87 000 euros par mois, à raison de 1 000 euros par million de vues.

Faux, démontre Absol, un vidéaste qui a fait des youtubeurs son sujet de prédilection. Une fois retirées les vidéos non monétisées, celles consultées par des internautes équipés d’un bloqueur de pub, les vues sur téléphones (qui ne génèrent aucun revenu et représentent près de 40 % du trafic) et la part prise par son agence, les revenus de Squeezie avoisineraient plutôt 10 000 euros. « Ce n’est plus possible de vivre de la publicité, explique DanyCaligula, on est passé à 400 euros le million de vues ; pour toucher un Smic, il faut cumuler trois ou quatre millions de vues ! »

L’alternative ? Tipeee, une plateforme de crowdfunding qui permet de faire des dons mensuels. Depuis un an, DanyCaligula touche un petit Smic et arrondit ses fins de mois avec des conférences. Un choix éditorial pour cet étudiant en master de philosophie qui « refuse de se faire acheter ». Car d’autres chaînes optent pour des produits dérivés ou des placements de produits. De juteux contrats : Poisson Fécond, avec 500 000 abonnés, révélait toucher 10 000 euros par placement. Imaginez Cyprien, avec ses 10 millions d’abonnés…

Cette pratique, pas toujours appréciée des spectateurs, est en revanche très intéressante pour les networks. Ces réseaux conseillent les créateurs, gèrent les droits et les partenariats. YouTube étant très sévère vis-à-vis de -l’utilisation d’extraits vidéo déjà revendiqués par des ayants droit (les vidéos sont bloquées ou non monétisables), un intermédiaire qui va négocier avec la plateforme est indispensable. Ce qui a conduit DanyCaligula à signer un contrat de trois ans avec Machinima, un des plus gros networks, qui, en contrepartie, récupérait la moitié des revenus publicitaires ! « Tous les vidéastes se font flouer au début, faute de poids pour négocier, explique-t-il, c’est la logique des réseaux : signer des contrats attractifs avec les gros youtubeurs pour attirer les petits. » Depuis, il a changé de network et dénonce « un manque de transparence énorme ».

Les débuts d’un jeune vidéaste sont loin d’être simples. D’autant plus qu’actuellement la logique des algorithmes pénalise les nouveaux arrivants : « C’est un peu comme Uber, les premiers s’en sont bien sortis mais, maintenant, le marché est saturé. » Sans compter que la précarité des youtubeurs ne s’arrête pas aux revenus. L’absence de statut est un problème majeur. Souvent auto–entrepreneurs, ces vidéastes n’ont ni droit au chômage ni assurance maladie. « Essayez de trouver un logement en tant que vidéaste : même si vous gagnez dix fois le loyer, c’est très compliqué », avertit DanyCaligula.

Et la précarité ne s’arrête pas là, elle se poursuit avec la dépendance à la plateforme. Car YouTube ne ménage pas ses créateurs. Depuis quelques mois, un vent de colère anime les vidéastes : non seulement ils perdent des abonnés à chaque nouvelle vidéo, mais les abonnements ne remontent plus dans le fil d’actu. Résultat : « Si vous vous abonnez à ma chaîne, vous avez finalement peu de chances de voir une de mes vidéos », résume DanyCaligula. Même le numéro un mondial, PewDiePie, a menacé de fermer sa chaîne. De son côté, YouTube nie en bloc. De quoi désespérer ? « On le voit avec Mélenchon, YouTube est la nouvelle télé, s’enthousiasme DanyCaligula, on souffre pas mal entre nous, mais on sait qu’on est les pionniers de quelque chose, on se bat pour les futurs arrivants qui n’ont pas grandi avec la télé et qui vont certainement révolutionner la vidéo. »

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