Clivage : Islam et laïcité, inclure ou exclure ?

Pour Manuel Valls, qui rappelle souvent les racines chrétiennes de la France, le voile est un avant-poste du jihadisme.

Nadia Sweeny  • 18 janvier 2017 abonné·es
Clivage : Islam et laïcité, inclure ou exclure ?
© Photo: Joël Saget / AFP

C’est à l’occasion de l’affaire du foulard de Creil, en 1989, qu’éclate au grand jour la profonde division interne à la gauche sur la question de la laïcité. Laurent Fabius, alors président de l’Assemblée nationale, soutient l’expulsion de trois collégiennes voilées, appuyé par Jean-Pierre Chevènement, ministre de la Défense. En face, Lionel Jospin, ministre de l’Éducation, et Michel Rocard, Premier ministre, prônent le dialogue. La fracture est profonde et ne cessera de se creuser au fil des débats et de l’actualité, nationale et internationale. Les attentats terroristes, le débat sur le voile intégral ou sur le burkini n’ont, dès lors, cessé de diviser la gauche. Naturellement, les candidats à la primaire n’y échappent pas.

Françoise Dumont

présidente de la Ligue des droits de l’homme « Il y a un grand malentendu sur la définition de la laïcité. La loi de 1905 n’a jamais interdit à quiconque de manifester son appartenance religieuse dans l’espace public. L’idée de vouloir confiner cette expression à la sphère privée n’est pas du tout dans l’esprit de cette loi, qui organise la neutralité de l’État et des services publics, mais ne l’impose pas aux gens dans la rue. La crispation autour du foulard est stigmatisante pour les femmes musulmanes, imaginées comme d’éternelles victimes, incapables de faire un autre choix que la soumission. Bien sûr qu’il faut travailler sur l’égalité homme-femme, mais n’avoir qu’une femme sur sept candidats paraît beaucoup moins gênant à ceux qui montrent du doigt le port du foulard. Le débat sur la laïcité est instrumentalisé avec une grande mauvaise foi et le maintien d’un deux poids deux mesures. En Alsace-Moselle, où la laïcité ne s’applique pas, les heures de religion à l’école sont inscrites sur la grille horaire ! Les catholiques font des processions dans la rue et ça ne déchaîne pas les foudres comme les prières de rue des musulmans. La France n’a pas que des racines chrétiennes : c’est une vision exclusive de l’histoire que de se limiter à cela. À la LDH, nous sommes attachés à la loi de 1905, mais on refuse de laisser certains lui faire dire ce qu’elle ne dit pas ! »
Si, pour Benoît Hamon, les signes extérieurs religieux, notamment le foulard, ne sont pas un problème, pour Manuel Valls, qui rappelle souvent les racines chrétiennes de la France, le voile est non seulement « l’expression de la soumission féminine » mais, de plus, un fanion de l’islamisme radical et du salafisme, avant-poste du jihadisme. L’ancien Premier ministre a d’ailleurs apporté son soutien aux maires à l’origine des arrêtés interdisant le burkini, invalidés ensuite par le Conseil d’État. Selonlui, « ce n’est pas une tenue de bain anodine. C’est une provocation, l’islamisme radical qui surgit et veut s’imposer dans l’espace public », expliquant que « burkini » est la « contraction du bikini et de la burqa ». Or, contrairement à la burqa, qui cache entièrement le visage, le burkini n’est pas un voile intégral. Arnaud Montebourg, plus fin dans son analyse, pointe les limites de cette absence de distinction : « Vous allez autoriser le voile dans la rue, mais, dès qu’on passe à la plage, c’est interdit. C’est incompréhensible. Donc, vous allez avoir une sorte de laïcité qui montre du doigt alors que nous pourrions l’avoir inclusive. » La position de l’ancien locataire de Bercy se situe entre le « refus de stigmatisation » d’une population et le rejet de « la tyrannie d’une minorité ». Comme Benoît Hamon, il est d’ailleurs opposé à l’interdiction du foulard à l’université, contrairement à Manuel Valls et à Sylvia Pinel, qui voudraient tous deux lier la laïcité à la Constitution. Manuel Valls par une charte adossée à la loi fondamentale, Sylvia Pinel en y introduisant les deux premiers articles de la loi de 1905.

Benoît Hamon, lui, s’y refuse. En revanche, il dénonce ce qu’il appelle un « double déni » : celui qui consiste à nier le lien des terroristes jihadistes avec l’islam, mais aussi celui de la « responsabilité de la République » dans l’émergence d’un « islam identitaire […] qui est une forme d’identité de consolation, parce qu’à défaut de pouvoir vivre ensemble, on vit entre soi. » Pour l’ex-ministre de l’Éducation, la baisse des subventions aux associations populaires et laïques crée un vide dans les quartiers sensibles, qui favorise le « développement de formes culturelles et religieuses de socialisation. »

De plus, Benoît Hamon s’insurge contre « l’hystérie politique dangereuse » qui entoure ces questions. Un point commun avec Vincent Peillon, lequel va beaucoup plus loin, comparant la situation des musulmans en France à celle des juifs sous le régime de Vichy. L’ancien ministre, à l’origine de la charte de la laïcité dans les écoles, dénonce l’ignorance des « élites françaises », affirmant que « notre pays est en train de régresser sur sa connaissance de la laïcité ». Pour lui, il existe une vision -orthodoxe de la laïcité, qu’il compare à une religion, avec « des dogmes » et « une forme d’intolérance » qui aujourd’hui « désignerait certaines populations », alors que la laïcité est, selon sa définition, « l’organisation de la liberté de conscience pour chacun ».

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