Clivage : Amender ou abroger la loi travail ?

Arnaud Montebourg et Benoît Hamon souhaitent tous deux l’« abrogation » de la loi El Khomri.

Pauline Graulle  • 18 janvier 2017 abonné·es
Clivage : Amender ou abroger la loi travail ?
© Photo: ALAIN JOCARD/AFP

Qui pour défendre encore la loi la plus polémique du quinquennat ? Évidemment Manuel Valls, son instigateur, qui a fait passer la loi travail à l’aide d’un très controversé 49-3 en juillet dernier. Sur TF1, jeudi, l’ex-Premier ministre, prudent, a toutefois préféré mettre en valeur les « droits nouveaux » contenus dans la loi : « [Veut-on abroger] la négociation dans l’entreprise, soutenue par les syndicats réformistes ? Le compte personnel d’activité qui se met en œuvre ? Le compte pénibilité, parce qu’il y a des salariés qui travaillent dur et qui vont devoir partir plus tôt à la retraite ? La garantie jeunes, qui concerne d’abord les jeunes précaires ? »

Emmanuel Dockès

membre du Groupe de recherche pour un autre code du travail (GR-Pact) « Des débats sur la loi travail pour la primaire à gauche, on retient d’abord la domination des opposants à cette loi. Parmi les candidats du Parti socialiste, seul Manuel Valls la défend. Les autres l’abrogent (Montebourg et Hamon) ou en expurgent l’essentiel (Peillon). La majorité fantomatique et forcée de l’été dernier n’est plus représentée que par un homme seul, englué dans ses contresens – Manuel Valls oublie que le compte pénibilité, vient de la loi du 20 janvier 2014, pas de la loi travail. Le deuxième enseignement est celui de la relative misère du débat sur le droit du travail. La réapparition de vieilles recettes sarkozystes (heures supplémentaires détaxées de Manuel Valls), une TVA sociale rebaptisée taxe sur les robots (Benoît Hamon), un sous-contrat de travail financé par l’assurance chômage (Arnaud Montebourg)… C’est à désespérer. D’autant que, des idées, il en existe de nombreuses autres. Pour ne citer que quelques-unes des mesures proposées par le GR-Pact, on aurait aimé entendre parler d’une généralisation de la nullité des licenciements injustifiés, d’un congé paternité identique au congé maternité afin de lutter contre la discrimination des femmes à l’embauche, de protections nouvelles pour les précaires, de chômeurs respectés comme assurés sociaux et usagers du service public, etc. Le droit du travail mérite mieux. »
Sylvia Pinel et François de Rugy lui ont emboîté le pas. La première pour rejeter les « caricatures » de la lutte des classes. Le second pour avouer que, s’il avait pu, il aurait « voté pour » : « J’ai toujours été pour les négociations d’entreprise, le dialogue social […] _; c’est gagnant-gagnant, la négociation d’entreprise »_, a ajouté l’ex-député EELV, faisant mine d’oublier que le problème n’est pas la négociation en entreprise, mais le primat de l’accord d’entreprise sur les accords de branche et le droit du travail.

Un élément problématique majeur de cette loi que n’ont pourtant pas rappelé assez clairement, lors du débat, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon, qui souhaitent tous deux l’« abrogation » de la loi El Khomri. « Cette loi doit être abrogée et, si elle est abrogée, [elle doit l’être] dans sa totalité », avait expliqué Arnaud Montebourg quelques jours plus tôt, lors d’une réunion de journalistes spécialisés dans l’action sociale. L’ancien ministre du Redressement productif avait ajouté que cette loi « a un péché capital […] : elle considère que la responsabilité du chômage est en rapport avec le droit du travail ».

Même topo de la part de Benoît Hamon, l’un des 56 députés à avoir déposé un projet de motion de censure lors des deux premiers passages de la loi par le 49-3. Le chantre du revenu minimum universel, favorable « à un nouveau rapport au travail et à l’émergence d’une société des loisirs » veut lui aussi abroger la loi. En juillet, il dénonçait déjà « une loi contre l’emploi et contre le pouvoir d’achat », qui « encourage l’augmentation de la durée du travail en transférant de la branche vers l’entreprise l’organisation du temps de travail et le tarif des heures supplémentaires ».

Si la loi travail trace une ligne de fracture entre la gauche et la droite du PS, les « pro-abrogation » de la loi El Khomri semblent aujourd’hui minoritaires au PS. Vincent Peillon, lui, veut seulement l’amender. Début janvier, il a ainsi précisé qu’il reviendrait sur « plusieurs dispositions » du texte mais qu’il ne voudrait pas l’abroger, car il « souhaite notamment conserver et approfondir le compte personnel d’activité, le droit à la déconnexion et l’extension de la garantie jeunes ». Il veut aussi supprimer l’inversion de la hiérarchie des normes.

La semaine dernière, une proposition de loi des sénateurs communistes pour abroger la loi travail a été rejetée par l’ensemble des sénateurs socialistes. Ils n’étaient que quatre (Marie-Noëlle Lienemann, Henri Cabanel et Jérôme Durain, tous trois soutiens d’Arnaud Montebourg, ainsi que Gisèle Jourda, qui ne s’est pas prononcée sur le candidat qu’elle soutenait à la primaire) à voter pour son abrogation. Gaëtan Gorce, soutien lui aussi d’Arnaud Montebourg, n’a, semble-t-il, pas vu la contradiction à voter contre.

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