Opacité des primaires et inégalités des candidats

Le processus de la primaire, non encadré par la loi, favorise les inégalités et l’opacité, tant en matière de financement que d’accès au temps de parole. Un système fait pour les gros au détriment des petits.

Nadia Sweeny  • 12 janvier 2017 abonné·es
Opacité des primaires et inégalités des candidats
© Photo: Tirage au sort de l'ordre de présentation des candidats à la primaire organisée par le PS, le 17 décembre (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP)

450 000 euros pour la campagne d’Arnaud Montebourg, entre 300 à 400 000 pour Manuel Valls, 200 000 prévus pour Benoit Hamon, 50 000 chez Vincent Peillon, 30 000 seulement chez François De Rugy… les estimations de dépenses des campagnes de la primaire maintiennent une constante : aucun n’est égal face au budget.

Si cette réalité est assez commune à l’ensemble des élections, la spécificité des primaires réside dans le fait qu’aucune réglementation n’assure l’égalité ni la transparence.

D’abord, les hautes autorités, responsables de l’organisation des deux grosses primaires, celle de la droite et celle organisée par le PS, n’ont pas les mêmes règles. La droite avait, par exemple, imposé un plafond de dépenses pour les campagnes porté à 1,5 millions d’euros, alors qu’au PS, non.

50 000 euros pour les socialistes, rien pour les autres

À droite, les partis avaient décidé ne pas financer directement leurs candidats, alors que le PS joue la carte de la grosse machine en donnant un coup de pouce à ses seuls représentants. « Au début, ils proposaient 30 000 euros, nous on demandait 100 000 », se souvient Alexis Bachelay, porte parole de Benoit Hamon. Ce seront donc 50 000 euros pour les candidats socialistes, les autres « se démerdent » lance François Kalfon, directeur de campagne d’Arnaud Montebourg. « On n’est pas responsable de ça », renchérit M. Bachelay, sans état d’âme.

« Rien qu’une plateforme de collecte de don comme celle de Montebourg coûte 10 000 euros », lance Thibault Leclerc, responsable média de François de Rugy. La Belle alliance populaire aurait pu se parer d’habits égalitaires. Que nenni ! Le « grand rendez-vous démocratique » cher à Christophe Borgel, président du comité d’organisation de la primaire, ne sera pas non plus celui de la transparence.

« Aucune règle sur le contrôle des dons »

Car, en dehors du gagnant de la primaire, les comptes de campagnes des candidats battus, ne seront pas vérifiés. « Les primaires sont organisées par les partis : nous ne les considérons pas comme une élection », confirme la Commission nationale des comptes de campagne et de financement de la vie politique (CNCCFP).

« Le financement des primaires est à la fois conforme au droit sur le financement des campagnes électorales mais aussi à celui de la vie politique », se borne à répéter Christophe Borgel.

« Inexact, rétorque Jean-Christophe Ménard, avocat et maître de conférences à Sciences-po Paris, spécialiste du droit électoral. Il n’y a aucun dispositif concernant les primaires dans la loi relative à la transparence de la vie politique. Il y a un vide juridique, dans lequel d’innombrables montages sont possibles. »

Juridiquement, le contrôle des dons et de leur origine est soumis aux statuts de l’association qui organise. En d’autres termes, renchérit maitre Ménard :

Ils font ce qu’ils veulent ! Il n’y a aucune règle sur le contrôle des dons au profit des candidats, ni aucun plafond prévu.

Les limites imposées par la loi dans le cadre d’une élection nationale ou locale ne s’appliquent pas pour les primaires, d’autant que si le don est fait directement au candidat, sans passer par la case « parti », il n’y a aucun moyen de le vérifier.

Dans son rapport de juillet 2015 relatif au financement de la vie politique, le député socialiste Romain Cola s’alarmait déjà : « Il est impératif que le Parlement se saisisse pleinement de cette question afin d’adapter la législation à cette nouvelle pratique. »

« Les pouvoirs publics n’ont pas réagi aux différentes alertes lancées : nous sommes, vis à vis des primaires, dans le même état du droit que nous l’étions avant 1988 pour le reste de la vie politique », se désole Jean-Christophe Ménard.

Les uns publient leurs comptes, les autres non

Si chez Les Républicains certains ont fait quelques bénéfices sur ces fameux dons récoltés pendant la primaire : M. Juppé est reparti, d’après Le Figaro, avec une coquette somme de 200 000 euros, les candidats avaient joué le jeu du dépôt des comptes et de leur publication… Chez les socialistes, on assume l’opacité : les comptes des primaires ne seront pas rendus publics.

« Ils ne sont même pas obligés de tenir des comptes, s’étouffe maître Ménard. Rien dans les statuts ne le leur impose. Il y a un vrai manque de transparence, avec un risque de financement occulte : or c’est précisément ce qui continue d’alimenter la très grande défiance de la population vis à vis des hommes politiques… »

Si les règles en matière de financement sont quelques peu floues, celles du temps de parole ne sont pas mieux loties. Les primaires n’étant pas considérées officiellement comme des élections, le CSA n’y applique pas de règle stricte. Là encore, c’est le plus gros qui bénéficie du manque de règles.

« Nous n’avons jamais vu une caméra de France télévision ! »

« Nous avons saisi la haute autorité des primaires au sujet de l’équité médiatique notamment concernant le service public, annonce Thibault Leclerc, responsable presse de François De Rugy. Nous n’avons jamais vu une caméra de France télévision ! »

Pour Alexis Bachelay, ce procès en inéquité n’est pas justifié : « On ne peut pas faire comme ci il n’y avait pas les trois débats », se justifie-t-il tout en avouant que Benoit Hamon a réussi son entrée dans cette primaire grâce à un désistement de Manuel Valls à l’Emission politique de France 2, en décembre. « C’est vrai que depuis, Benoît est en progression constante. »

« Nous avions demandé un débat chaque jeudi du mois de janvier à partir du 5, renchérit Thibault Leclerc. On nous a répondu que les Français n’étaient pas prêts à parler politique aussi vite après les fêtes… Et que fait France 2 ? Ils invitent Manuel Valls à l’Emission politique en prime time, le 5 janvier, pendant deux heures ! » Invitation qui a aussi fait grincer des dents Vincent Peillon, lui aussi privé de ces deux heures d’exposition.

« Et après on fait un tirage au sort pour l’organisation des débats… C’est ridicule de faire croire à une équité alors qu’elle n’existe pas sur l’ensemble de la couverture médiatique », constate Thibault Leclerc, dépité. « Je sais que certains au PS nous voient comme un faire valoir, que notre présence leur permet de dire que ce sont des primaires « de gauche ». Mais notre objectif est de faire pression pour que l’écologie ne soit pas juste un affichage. » Au prix de s’asseoir sur toute forme de transparence et d’égalité de traitement ?

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