Pollution : L’inertie des pouvoirs publics

Alors que Paris devient une zone à circulation restreinte, l’exceptionnel pic de pollution de l’air illustre l’incapacité à faire reculer la voiture en France depuis vingt ans.

Patrick Piro  • 11 janvier 2017 abonné·es
Pollution : L’inertie des pouvoirs publics
© PHILIPPE DESMAZES/AFP

Coïncidence de calendrier : alors que la France sort d’un épisode de pollution atmosphérique exceptionnel, Paris instaure la première « zone à circulation restreinte » (ZCR) du pays. À partir du 16 janvier, l’apposition de la vignette Crit’Air sera obligatoire et la circulation interdite aux véhicules de plus de vingt ans (voir encadré p. 20).

La mauvaise qualité de l’air est devenue un problème sanitaire majeur : pneumonies, cancers, maladies cardiovasculaires, elle tue prématurément 48 000 personnes par an, selon l’agence Santé publique France. En 2015, l’Inserm évaluait le préjudice direct entre 1 et 2 milliards d’euros par an, « montant très sous-estimé alors que l’on sait aujourd’hui que de nouvelles pathologies sont impliquées », annonce Isabella Maesano, qui a dirigé l’étude. Et une enquête sénatoriale chiffrait à 100 milliards d’euros annuels l’impact global (avec la pollution de l’eau, des sols, etc.).

Parmi les polluants les plus dangereux, les particules fines de moins de 2,5 microns de diamètre (PM2,5), reconnues cancérigènes depuis 2012. Le diesel en est le principal émetteur en ville, jusqu’à 30 % en Île-de-France et même 58 % à Paris [^1]. La reconquête de la qualité de l’air en ville s’affronte donc prioritairement à la circulation routière. Et, dans ce domaine, les pouvoirs publics -s’illustrent par leur inertie. « La loi sur l’air a vingt ans ! », rappelle Sébastien Vray, porte-parole de l’association Respire.

Pourtant, des efforts ont été fournis, reconnaît Nadia Herbelot, cheffe du service qualité de l’air à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). « Mais il n’y a pas de corrélation directe entre la réduction des émissions et la concentration en polluants. » En effet, les conditions météorologiques peuvent favoriser la stagnation des polluants et la production de variétés secondaires comme l’ozone. Autrement dit : les mesures adoptées jusque-là sont loin d’être suffisantes. « La France est en retard, comme d’habitude », souligne Jean-Félix Bernard, président d’Airparif, l’association chargée de la mesure de la qualité de l’air en Île-de-France.

Début 2016, l’Ademe recensait plus de 200 zones à circulation restreinte dans dix pays d’Europe. La Suède a commencé en 1996 ; celle de la Ruhr allemande s’étend sur 800 km2. Elles ciblent les poids lourds, les bus, les véhicules particuliers et même les deux-roues en Italie. Objectif : respecter les normes de l’Union européenne pour la concentration en PM10 (moins de 10 microns de diamètre) et en dioxyde d’azote (NO2). « Ça va dans le bon sens, convient Sébastien Vray. Mais avec quelle efficacité ? On en est aux amuse-gueules ! » Les villes européennes réduisent les concentrations de 12 % au mieux. Idem avec la circulation alternée, instaurée pendant plusieurs jours dans diverses villes de France en décembre dernier. Un fiasco, car elle a été peu respectée : à Paris, le trafic n’a reculé que de 5 à 10 %. La raison : des contrôles insuffisants et des pannes de transport ferroviaire en Île-de-France, pour cause de sous–investissement dans l’entretien du réseau. Par ailleurs, la mesure cible indistinctement les véhicules récents ou anciens. La vignette Crit’Air permettra d’ajuster les restrictions pour les plus polluants. Mais on n’en est pas là à Paris, qui fera de la pédagogie dans un premier temps. Les amendes ne dépassent pas 35 euros. « La progressivité de la mesure est une des clés de sa réussite », défend Nadia Herbelot.

Et puis les spécialistes le martèlent : si les pics exacerbent l’alarme, c’est la pollution « de fond », installée au quotidien, qui donne au problème sanitaire et économique sa véritable ampleur. « Il faut une approche globale des transports, avec une combinaison d’actions », souligne Lorelei Limousin, de l’association Réseau action climat (RAC-France).

Pour faire reculer durablement la voiture, les autorités sont en première ligne : pour instaurer divers types de zones à circulation restreinte, des péages urbains comme à Stockholm ou à Londres (jamais expérimentés en France), le stationnement payant… À condition d’accompagner d’alternatives ces mesures restrictives potentiellement antisociales : les plus touchés sont souvent les plus défavorisés, propriétaires d’une vieille voiture dont ils dépendent parce que les transports en commun sont rares là où ils habitent. La capitale propose des aides financières pour changer de véhicule ou utiliser les transports en commun, mais elles restent peu incitatives. Plusieurs améliorations ont fait leurs preuves : des bus plus fréquents, en site propre et à haut niveau de service (comme à Nantes, Rouen ou Metz), la gratuité partielle ou totale, des horaires synchronisés entre modes de transport différents, de l’information et des calculateurs de trajets performants, des plans « vélo » et « marche à pied », etc. La ville de Strasbourg est souvent citée pour la cohérence de son approche (voir p. 24). « Mais elle pousse par ailleurs des projets routiers », tempère -Lorelei Limousin.

Alors que leurs flottes de véhicules sont diesel à plus de 95 %, les entreprises pourraient être tenues de les renouveler ou d’inciter plus au covoiturage, au télétravail, etc. « Et puis la voiture garde une place forte dans l’imaginaire collectif », ajoute-t-elle. Les citadins effectuent la moitié des trajets de moins de trois kilomètres au volant.

Pourtant, le retard français est surtout dû à la pression des lobbys pro-voiture et à la frilosité des décideurs politiques. L’abandon de l’écotaxe poids lourds fin 2014 a privé le financement d’infrastructures de transports en commun de près d’un milliard d’euros par an. Et Ségolène Royal, ministre de l’Écologie, s’est opposée à une élimination rapide des avantages fiscaux dont bénéficie le diesel. La préservation de l’emploi dans l’automobile est brandie en permanence. « Mais, quand la préférence pour le diesel conduit des raffineries d’essence à fermer, on ne le montre pas du doigt, déplore Jean-Félix Bernard. Et les constructeurs nous font croire en chaque occasion que leurs voitures neuves n’ont pas d’impact ! » Les soupçons sur le caractère cancérigène des particules en suspension datent pourtant de plus de quinze ans. Michel Aubier, pneumologue qui en minimisait les dangers, a reconnu en 2016 qu’il touchait jusqu’à 60 000 euros par an de la part de Total depuis vingt ans.

Le scandale de la fraude aux normes anti-pollution européennes (le « dieselgate »), qui a notamment impliqué Volkswagen l’an dernier, a démontré l’emprise des constructeurs sur le système d’homologation : la triche était connue depuis des années. Fin décembre, Bruxelles a lancé une procédure d’infraction contre sept États (dont l’Allemagne) pour défaut d’action contre les industriels contrevenants.

Et puis la France s’entrave aussi avec ses multiples échelons de décisions. À Paris, la bataille de l’air exige la cohérence de la Ville, de la métropole, du département, de la Région et de l’État ! La fermeture à la circulation des voies sur berge en octobre, puis la circulation alternée en décembre alimentent une polémique entre Anne Hidalgo, maire PS de Paris, et Valérie Pécresse, présidente LR de la Région : la capitale imposerait ses décisions aux « banlieusards ». L’entrée en vigueur de la vignette Crit’Air devrait en remettre une couche. Le premier bilan de l’impact des récentes mesures parisiennes sur la pollution, au printemps prochain, est donc attendu avec fébrilité.

[^1] Les autres grandes sources sont : le chauffage au bois en foyer non fermé et les épandages agricoles.

Écologie
Publié dans le dossier
Pollution : Une inertie criminelle
Temps de lecture : 6 minutes

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