Les créationnistes américains toujours puissants

Aux États-Unis, la doctrine biblique est tenue pour supérieure à la science par une partie importante de la population et du personnel politique. Pour illustrer ce phénomène, visite guidée du musée de la Création, dans le Kentucky.

Claude-Marie Vadrot  • 14 février 2017 abonné·es
Les créationnistes américains toujours puissants
Photo : Ken Ham dans son musée de la Création de Petersburg, Kentucky.
© JEFF HAYNES / AFP

Comme le président Trump, le 115e Congrès des États-Unis – qui siège depuis la mi-janvier 2016 – est le plus antiscience et le plus réactionnaire depuis au moins quatre-vingt-dix ans. Le jugement émane de nombreux médias américains, de la plupart des grandes associations écologistes ou naturalistes, et des scientifiques, depuis qu’ils ont découvert le surprenant rapport aux sciences des élus, qu’ils soient républicains ou, pour certains, démocrates : un rapport rétrograde ou marqué par des croyances religieuses aveugles.

Pour illustrer cette aberration idéologique, des Américains atterrés rappellent l’année 1925, qui vit des élus obtenir la comparution devant la justice de John Scopes. Ce professeur de Dayton (Tennessee) fut contraint de répondre, au cours d’un procès de onze jours, d’une accusation terrible : avoir osé enseigner la théorie de l’évolution de Charles Darwin et négligé le créationnisme… Il fut condamné malgré une campagne de presse en sa faveur d’intellectuels et de scientifiques.

Presque un siècle plus tard, d’autres intellectuels et scientifiques s’effarent de ce qu’ils entendent au Sénat, à la Chambre des représentants ou simplement dans des États submergés par la vague rétrograde qui contamine une partie du pays. La dérive rappelle les années les plus noires de l’obscurantisme américain dominé par les sectes religieuses, dont le récent Tea Party est une version modernisée mais tout aussi aveugle.

Tout est dans la Bible

Lors d’une polémique sur le climat, le sénateur républicain de Floride Marco Rubio (ex-candidat à la présidentielle) a expliqué ainsi ses doutes : « Je ne suis même pas sûr de savoir si la Terre a été créée en sept jours ou sur une plus longue période. » Une majorité des parlementaires américains ont été élus avec l’appui d’Églises ou de religieux dominant le Tea Party, accrochés à leur certitude que le monde a été créé en sept jours.

D’ailleurs, chaque année, des centaines de milliers de citoyens américains visitent le musée de la Création, construit et aménagé à Petersburg, une petite ville du Kentucky.

Grâce à la générosité d’un riche Américain d’origine australienne, Ken Ham (photo), qui fut professeur de biologie avant de créer une Fondation de la science de la Création placée sous l’égide « d’une réponse universelle aux questions posées par la lecture de la Genèse ». Il a consacré des dizaines de millions de dollars à l’édification du musée ; le reste, dont le montant n’a jamais été divulgué, a été fourni par de généreux petits et grands donateurs liés aux sectes protestantes.

Jurassic Park au rabais

Depuis son lancement, la foule se presse de plus en plus nombreuse dans ce « musée » qui met en scène la création du monde vue par la Bible et entretient la méfiance des visiteurs envers les scientifiques et ceux qui défendent l’idée que l’évolution du climat peut être attribuée aux activités humaines.

Logique car, comme l’expliquent des parlementaires, cela n’est pas annoncé dans la Bible et la Genèse et ne peut donc pas correspondre à la volonté de Dieu, source unique de l’évolution du monde. La visite de ce « musée », hautement déprimante par les commentaires du public et les scénographies proposées, mérite le détour.

Les visiteurs arrivent sur les lieux en voiture ou en autocar, accompagnés de leur pasteur. Ils y découvrent, après avoir lâché sans sourciller les 30 dollars de droit d’entrée, et dans un décor digne d’un Jurassic Park au rabais, les bonheurs et les malheurs d’Adam et Ève.

La faute de la première femme

Cette dernière est présentée comme la femme corrompue qui a, pour la première fois, pêché avec son compagnon Adam, pour avoir prêté l’oreille aux mauvais conseils du serpent. Au passage, grâce à des diaporamas et une flopée d’animaux incluant les « méchants » dinosaures que le Seigneur a fait disparaître, il est rappelé à ceux qui en douteraient encore, notamment les enfants, que le monde a été créé il y a 6 000 ans et non il y a plusieurs milliards d’années.

Des panneaux et des vidéos expliquent que les scientifiques ont tort de s’être fiés à Galilée, à Descartes et à d’autres penseurs qu’il faut considérer comme des ennemis de Dieu et de la religion. Sans oublier de préciser sur des cartouches animés que, si les insectes piquent, si les fauves mordent et si les serpents inoculent des poisons, c’est simplement à cause du péché originel, commis bien sûr par Ève.

La foule des visiteurs est convaincue et se rassure devant cette explication du monde dont ils déplorent, comme les inventeurs du musée, qu’elle soit bannie des enseignements.

3 millions de visiteurs depuis l’ouverture

D’après un sondage effectué en 2011 par Ipsos dans 24 pays, 40 % des Américains sont persuadés que les créationnistes ont raison. Pas surprenant donc que le musée ait accueilli plus de 3 millions de visiteurs depuis son ouverture… Les Américains n’occupent pas la première place dans ce sondage puisque leurs certitudes sont partagées par 75 % des Saoudiens, 60 % des Turcs, 56 % des Sud-Africains, 57 % des Indonésiens, 34 % des Russes et 25 % des Polonais. Des pays où l’influence de l’islam ou du christianisme est forte.

En France, les citoyens persuadés de la vertu et de la réalité du créationnisme ne sont que 9 %, contre 12 % en Allemagne. Aux États-Unis, le bataillon des créationnistes est de plus en plus important. Il constitue, par son influence et par les votes qu’il entraîne, un socle solide pour appuyer et renforcer l’armée des esprits sceptiques vis-à-vis des sciences. Il était logique qu’ils se retrouvent nombreux à la Maison Blanche dans l’entourage de Donald Trump.

Idées
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