Psychanalyse du terrorisme

Gérard Haddad voit dans le « complexe de Caïn » l’un des ressorts du crime aveugle.

Denis Sieffert  • 15 février 2017 abonné·es
Psychanalyse du terrorisme

L’acte terroriste aveugle trouve-t-il son explication dans le « complexe de Caïn »? C’est l’hypothèse que propose le psychanalyste Gérard Haddad comme point de départ de son nouvel essai. À vrai dire, on est assez déconcerté quand l’auteur évoque le cas des frères Kouachi, ou de Merah, ou d’Abdeslam. Où est le fratricide dans ces fratries complices du même crime ? On suit cependant l’auteur dans un voyage littéraire d’une réjouissante érudition, qui dresse une sorte d’inventaire du fratricide depuis l’Antigone de Sophocle jusqu’à Britannicus, en passant par Hamlet, Richard III et Roméo et Juliette. Haddad nous rappelle aussi ces fratricides, accomplis ou rêvés, qui « abondent » dans l’Ancien Testament. Il convoque quelques mythes, comme celui de Romulus assassin de son jumeau Rémus, fondateur avec lui de Rome. En fait, après un départ qui ressemble à une fausse piste, Haddad nous propose une analyse de ce qu’il appelle l’angle mort de la psychanalyse : le fameux « complexe de Caïn ». Chez Sophocle, observe Haddad, Freud a préféré Œdipe-roi à Antigone, autrement dit le meurtre du parent de même sexe. Il aurait omis ce que Lacan a appelé la « frérocité ».

Pour Haddad, le fratricide originel, celui que commet Caïn, témoigne pourtant de la question fondamentale de l’héritage du père et « de son phallus […], qui confère avant tout la puissance ». Voir la rivalité de Jacob et d’Ésaü pour obtenir le droit d’aînesse. « Le complexe de Caïn, tel est le mal universel », nous dit l’auteur.

À ce stade, on se demande comment Haddad va « atterrir ». Comment il va nous ramener à son point de départ : l’explication du terrorisme par le complexe de Caïn. À vrai dire, il n’atterrit pas vraiment. Nous avons eu une passionnante réflexion sur ce qui constitue peut-être l’une des failles de la théorie psychanalytique, mais, sauf à admettre que nous sommes tous « frères », et que tout crime est un fratricide, on cherche en vain les causes du terrorisme. D’autant que celui-ci est le produit de causes multiples, et qu’il est périlleux de vouloir abolir d’un coup la politique, l’économique et, finalement, l’histoire.

Le subtil Gérard Haddad nous emmène tout de même sur une piste moins triviale. Le terrorisme, nous dit-il, ne serait qu’un déplacement de ce complexe de Caïn. « Ne pouvant pas désirer la disparition […] de mon frère ou de ma sœur […], le désir de meurtre devra se déplacer hors du cercle familial, puis, en ondes successives […], hors de mon groupe national, ethnique, idéologique, religieux. » Nous en venons à la haine de l’Autre. Reconnaître que cet Autre, aussi étranger soit-il, est toujours mon frère devrait permettre de combattre le racisme et le crime aveugle qui, nous dit Haddad, est « par essence fratricide ». C’est toujours Abel que l’on assassine.

Le Complexe de Caïn, Gérard Haddad, Premier Parallèle, 115 p., 12 euros.

Idées
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