Éminences tristes

Ce n’est qu’au jour où Fillon s’en est pris aux juges, et non plus seulement aux immigrés, qu’il a basculé dans le « populisme », selon MM. Rosanvallon et Winock.

Sébastien Fontenelle  • 8 mars 2017 abonné·es
Éminences tristes
© photo : ULF ANDERSEN / Aurimages / AFP

Jeudi dernier, juste après que l’inquiétant M. Fillon (IM. F) venait (encore) de crier qu’il était, dans les affaires qu’on sait, l’innocente victime d’un odieux acharnement judiciaire und policier mais qu’il « ne céderait pas, ne se rendrait pas » et « ne se retirerait pas » de la course à l’Élysée : Pierre Rosanvallon (rires) a déclaré, dans une interview au Monde, que ces « propos » marquaient « un tournant populiste dans l’élection présidentielle ».

Quarante-huit heures plus tard, Michel Winock, historien, ajoutait dans le même journal, après avoir comme tout le monde ouï l’annonce (faite d’abord par l’hebdomadaire d’extrême droite Valeurs actuelles) que les supporteurs de l’IM. F manifesteraient à Paris, le dimanche 5 mars, « contre le coup d’État des juges » : « En appelant [à ce] rassemblement, François Fillon franchit la barrière qui le sépare du populisme. »

Sur ce mot – « populisme » – et sur ses différents usages dans le discours dominant, il y aurait évidemment beaucoup à dire [1]. Mais, pour cette fois, prenons-le tel qu’il est, dans l’acception que lui donnent ici MM. Rosanvallon et Winock, pour qui, manifestement, il est, non moins que pour les journalistes du Monde qui recueillent leurs avis, synonyme de radicalisation droitière.

Et pointons ceci, qui est extrêmement intéressant et révélateur : c’est depuis de très longues semaines – et plus encore depuis qu’est apparu qu’il n’était pas tout à fait le probe personnage qu’il prétendait – que François Fillon mélange ses prosopopées électorales d’imprécations directement prises dans le sac puant où l’extrême droite serre sa propagande. Et comme toujours, en de pareils cas – on se rappelle qu’avant lui M. Sarkozy s’était, d’enthousiasme, lancé dans la même pente –, cela s’est traduit par des stigmatisations méticuleusement triées : celles, notamment, de « l’immigration » et du « culte musulman », traditionnelles victimes des poussées de fureur de la réaction.

Mais, du point de vue de Pierre Rosanvallon (photo) et de Michel Winock, si l’on s’en tient du moins à leurs exposés suscités, cela restait finalement acceptable, et tout à fait dans la norme d’un discours tolérable, dit dans un cadre républicain. Puisque ce n’est qu’au jour où le candidat Fillon s’en est pris aux juges et aux flics – et non plus seulement aux immigré(e)s ou aux mahométan(e)s – qu’il a, selon ces deux éminences, basculé dans un « populisme » qui leur fait plisser du nez.

L’on peut dès lors déplorer que les gens du Monde qui recueillaient cette opinion n’aient pas du tout relevé qu’elle est curieusement sélective, et qu’elle dit beaucoup, par conséquent, des inconvenances qui, dans l’époque, se sont banalisées jusqu’à être partout admises.

[1] Mais il faudrait, pour cela, disposer ici d’un peu plus de place – raison pour laquelle je continue à mener une campagne de très longue haleine (puisqu’elle dure depuis l’automne 1234) à la fin d’obtenir pour cette chronique un troisième feuillet, et veux répéter un peu solennellement que je ne céderai pas, que je ne me rendrai pas, que je ne me retirerai pas.

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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