Hocquenghem, révolution symbolique

Antoine Idier publie une biographie critique et un recueil d’articles du militant gay, écrivain et journaliste. Une pensée éclectique et engagée.

Olivier Doubre  • 22 mars 2017 abonné·es
Hocquenghem, révolution symbolique
© photo : JEAN-SEBASTIEN EVRARD/AFP

En ces temps de réaction sociale et culturelle, symbolisée par la montée en puissance d’un mouvement comme Sens commun, émanation de la Manif pour tous, constituée en lobby au sein des Républicains, la publication d’un recueil d’articles des années 1970 et 1980 et d’une biographie critique de Guy Hocquenghem tombe à point nommé.

Ces deux livres sont le fait d’Antoine Idier, sociologue et historien, fin connaisseur du mouvement LGBT français et auteur d’une histoire de la lutte pour l’abrogation des derniers alinéas discriminatoires du code pénal, intervenue en 1982 [1]. Une histoire dont Guy Hocquenghem, d’abord figure du gauchisme des années du « ressac de Mai », fut l’un des protagonistes en militant au Front homosexuel d’action révolutionnaire (Fhar), premier mouvement gay de l’Hexagone. Et l’un des pionniers de la « nouvelle littérature ouvertement homo », par son premier livre, Le Désir homosexuel (1972, rééd. Fayard, 2000).

On ne saurait toutefois résumer Hocquenghem à un auteur gay militant, comme le montre la diversité des sujets abordés dans ce recueil posthume, Un journal de rêve, reprenant le titre d’une chronique sur le journalisme dans Gai Pied Hebdo (1985). Dépénalisation des drogues dans une société « accro à la télé et au tiercé », mort de De Gaulle (moins importante, pour lui, que celle de Jimi Hendrix ou de Janis Joplin), assassinat de Pasolini, fermeture de la fac de Vincennes ou critique de la famille traditionnelle (déjà mal en point), il multiplie les interventions, parfois d’une impensable longueur pour la presse aujourd’hui, dans le premier Libé, Actuel, Tout ! ou Masques. On notera en particulier une enquête intellectuelle extrêmement fouillée, « Contre, tout contre la Nouvelle Droite » (1979), où il met en garde contre « l’audace » théorique de celle-ci, mais fustige aussi l’inefficience du phénomène intellectuel qui affirme alors la combattre, la « nouvelle philosophie », « dernière riposte de la “vieille droite” […] ou de la “vieille gauche”, comme on voudra, BHL ayant réalisé le pont de l’une à l’autre »

Au fil de ces textes, on (re)découvre l’album imagé d’une époque, tout en couleur, à travers une pensée « qui s’obstine à repérer les nouveaux totems et tabous d’un monde en mutation ». Un monde qui ne va pas forcément en s’améliorant. Car c’est l’aurore de l’ère néolibérale qui pointe sous la plume aussi lucide qu’acide d’Hocquenghem, comme il le fera dans sa Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary (1986, rééd. Agone, 2014), fidèle à ses engagements de jeunesse contre les trop nombreux ex-soixante-huitards renégats. Mais aussi l’arrivée du sida, qui va très vite faucher l’écrivain à 42 ans, en 1988.

Comme le souligne Antoine Idier, reprenant les termes que Pierre Bourdieu utilisa pour caractériser l’œuvre de Manet un siècle plus tôt, Guy Hocquenghem fut finalement « l’auteur d’une “révolution symbolique” », celle « d’une transformation des catégories de perception et d’appréciation du monde et d’une mise en question des formes de pensée en vigueur »

[1] Les Alinéas au placard. L’abrogation du délit d’homosexualité (1977-1982), Cartouche, 2013. Cf. Politis n° 1237 du 24 janvier 2013.

Un journal de rêve. Articles de presse (1970-1987), Guy Hocquenghem, éd. par Antoine Idier, Verticales, 320 p., 22 euros.

Les Vies de Guy Hocquenghem. Politique, sexualité, culture, Antoine Idier, Fayard, 356 p., 22 euros.

Idées
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

Désoccidentalisez… il en restera bien quelque chose !
Essais 5 décembre 2025 abonné·es

Désoccidentalisez… il en restera bien quelque chose !

À travers deux ouvrages distincts, parus avec trente ans d’écart, le politiste Thomas Brisson et l’intellectuel haïtien Rolph-Michel Trouillot interrogent l’hégémonie culturelle des savoirs occidentaux et leur ambivalence lorsqu’ils sont teintés de progressisme.
Par Olivier Doubre
Appel des intellectuels de 1995 : « Bourdieu a amendé notre texte, en lui donnant une grande notoriété »
Entretien 4 décembre 2025 abonné·es

Appel des intellectuels de 1995 : « Bourdieu a amendé notre texte, en lui donnant une grande notoriété »

L’historienne Michèle Riot-Sarcey a coécrit avec quatre autres chercheur·es la première version de l’Appel des intellectuels en soutien aux grévistes, alors que le mouvement social de fin 1995 battait son plein. L’historienne revient sur la genèse de ce texte, qui marqua un tournant dans le mouvement social en cours.
Par Olivier Doubre
L’Appel des intellectuels en soutien aux grévistes de 1995, tel que rédigé initialement
Histoire 4 décembre 2025

L’Appel des intellectuels en soutien aux grévistes de 1995, tel que rédigé initialement

Ce texte fut ensuite amendé par certains militants et grandes signatures, en premier lieu celle de Pierre Bourdieu. Mais les cinq rédacteurs de sa première version – qu’a retrouvée Michèle Riot-Sarcey et que nous publions grâce à ses bons soins – se voulaient d’abord une réponse aux soutiens au plan gouvernemental.
Par Olivier Doubre
Romane Bohringer : « Les mères défaillantes ont besoin de soins, pas d’être jugées »
Entretien 3 décembre 2025 abonné·es

Romane Bohringer : « Les mères défaillantes ont besoin de soins, pas d’être jugées »

Dans Dites-lui que je l’aime, adaptation très libre du livre éponyme de Clémentine Autain, aussi présente dans le film, la réalisatrice rend hommage à des femmes, leurs mères, dans l’incapacité d’exprimer leur amour à leur enfant. Elle explique ici comment elle a construit son film à partir du texte de l’autrice, en qui elle a reconnu un lien de gémellité.
Par Christophe Kantcheff