La « clause Molière » en questions

Cette clause, qui oblige les ouvriers de certains secteurs professionnels à parler français, fait débat. Éclairage sur le texte adopté le 9 mars par la région Île-de-France.

Malika Butzbach  • 13 mars 2017 abonné·es
La « clause Molière » en questions
© Photo : Alain Le Bot / Photononstop

Que dit ce texte ?

Le « Small Business Act », adopté par le conseil régional d’Île-de-France, vise à « faciliter l’accès des TPE-PME aux marchés publics régionaux » selon le site de la région. Il s’agit de régir l’accès des entreprises aux marchés publics dans certains secteurs (notamment transport et travaux). Compris dans ce texte, la clause Molière oblige les entreprises à s’assurer « _que l’ensemble des ouvriers comprennent le français et, si c’est impossible, imposer la présence d’un interprète ». Selon une circulaire de l’Observatoire régional de la commande publique, il s’agirait d’une condition « permettant une parfaite compréhension des directives de la direction technique des travaux ». Ce que la présidente de la région, Valérie Pécresse, a défendu : « Bien loin des caricatures dans lesquelles certains voudraient nous enfermer, c’est une condition sine qua non pour la sécurité des travailleurs sur les chantiers. » Mais, l’autre objectif, assumé, du texte, est d’éviter le recours aux travailleurs détachés.

Au sein du conseil régional Île-de-France, la clause Molière a été dénoncée par un parti de l'assemblée. Le MoDem, pourtant membre de la majorité (LR-UDI-Modem), a notamment déposé un amendement pour supprimer cet acte, estimant qu'il ciblait les « travailleurs étrangers issus de l'immigration, pour qui le travail est un vecteur d'intégration et d'apprentissage de la langue française ». Le Parti socialiste et les écologistes ont dénoncé cette mesure, tout comme le Front de gauche qui y voit « une tentative d'imposer la préférence nationale ». Le Front national, lui, avait voté pour cette clause, espérant que Michel Delpuech, nouveau préfet d'Île-de-France, « ne fera pas peur » à Valérie Pécresse.

Où la clause Molière est-elle mise en vigueur ?

La décision de la région francilienne n’est pas inédite, loin de là. C’est en mai 2016 que cette règle est apparue, à l’initiative de Vincent You, adjoint au maire (LR) d’Angoulême, Xavier Bonnefont. Il entendait « lutter contre les entreprises qui cassent les prix en recourant aux travailleurs détachés sans que ces salariés ne cotisent pour la Sécurité sociale ». Depuis, la clause a été adoptée à de nombreux niveaux locaux, majoritairement dirigés par Les Républicains. C’est le cas des départements de la Charente, du Nord, de la Vendée, du Haut-Rhin et de la Corrèze, ainsi que des régions des Hauts-de-France et des Pays de la Loire. Mais aussi de la région de Normandie (UDI) et du Centre-Val de Loire (PS).

La clause Molière avait aussi été discutée lors de la première lecture de la loi travail, à la suite de l’amendement d’une trentaine de députés, en majorité Les Républicains. Mais l’usage du 49.3, avait coupé court à la discussion.

Quelles sont les polémiques autour de la clause Molière ?

Lors de l’adoption du texte dans la région Auvergne-Rhône-Alpes par Laurent Wauquiez (LR), le préfet Michel Delpuech avait contesté la légalité d’une telle mesure et demandé au président du conseil régional de revoir sa copie avant le 24 avril.

Pour l’avocat spécialiste en droit public Pierrick Gardien, la clause Molière « rompt avec l’égalité de traitement des candidatures sur les marchés publics. La langue française n’est pas un critère objectif et cela discriminerait certaines entreprises. » Il existe cependant des jurisprudences qui restreignent l’accès des entreprises pour critères environnementaux par exemple. En utilisant l’argument de la sécurité, V. Pécresse et L. Wauquiez espèrent que la clause donne lieu à une jurisprudence, explique l’avocat.

La sécurité peut être considérée comme une exception à la règle. C’est un moyen détourné d’empêcher le recours aux travailleurs détachés. Après tout, on n’a pas besoin de parler français pour construire un mur, mais pour comprendre les règles de sécurité, légalement, ça peut se discuter. C’est la décision du juge qui fera jurisprudence.

Le débat a aussi lieu au niveau européen. Députée au Parlement de Strasbourg où elle est rapporteuse du projet de révision de la directive sur les travailleurs détachés, Élisabeth Morin-Chartier (LR) a, elle, pris position contre la clause Molière dans une lettre adressée à Francois Fillon. « Il est illusoire de penser que nous réglerons les problématiques de l’emploi en nous repliant sur nous-mêmes. […] Nous ne devons pas tomber dans le piège du repli nationaliste dans lequel le FN veut enferrer le pays. »

Selon Me Pierrick Gardien, il y a dans ce débat un effet de campagne présidentielle : « Ces personnes prennent position pour ou contre le travail détaché. À mon sens, c’est une discussion plus politique que juridique. »

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