Attentat de Dortmund : le terroriste spéculait sur la chute du club en Bourse

L’auteur de l’attentat contre le bus du Borussia Dortmund, le 11 avril, espérait devenir multimillionnaire en précipitant la baisse de l’action du club. Explications.

Erwan Manac'h  • 21 avril 2017 abonné·es
Attentat de Dortmund : le terroriste spéculait sur la chute du club en Bourse
© photo : MAJA HITIJ / GETTY IMAGES EUROPE / Getty Images/AFP

L’attaque à la bombe qui a blessé un joueur du Borussia Dortmund, le 11 avril, n’était pas l’œuvre d’un terroriste islamiste, d’extrême droite, ou d’extrême gauche, comme on l’a d’abord soupçonné. Elle était en réalité due à un terroriste aguerri dans l’art complexe… des placements financiers.

Le parquet fédéral allemand a en effet annoncé, vendredi 21 avril, l’arrestation d’un Germano-Russe de 28 ans, Sergej W., expliquant que cet individu avait l’intention de spéculer à la baisse sur le cours de l’action du Borussia.

Promesse de vente à une date ultérieure

Depuis sa chambre d’hôtel, le jour de l’attentat, l’homme avait passé des « options de vente » pour 15 000 actions du club. Autrement dit, il a acheté le droit de vendre à une date ultérieure, en l’occurrence le 15 juin, 15 000 actions du club à un prix fixé à l’avance.

Selon le mécanisme dit des « put-options », le futur vendeur – en l’occurrence le terroriste – achète une option de vente, comme il souscrirait une assurance. « Cela permet en principe à des gens qui ont un gros portefeuille de se protéger contre la baisse du prix des actions », explique Paul Jorion, spécialiste de la finance. Pour le futur acheteur, l’opération peut être intéressante si le court reste stable, ou augmente. _« En résumé, un vendeur s’entend avec un acheteur qui fait le pari inverse du sien », résume un professionnel du secteur.

Ce mécanisme permet donc au futur vendeur de spéculer sur la baisse. Car l’option de vente est signée pour des actions que le vendeur n’a pas encore en sa possession. Le terroriste attendait donc la chute du cours pour les acquérir à prix cassé. Et les revendre au prix négocié plus tôt. « Il s’arrange pour que le prix baisse en commettant un attentat, puis il va acheter les 15 000 actions au prix déprimé, pour les revendre au prix auquel il avait pris sa “put-option“ », résume Paul Jorion.

Il espérait en retirer 1 million d’euros de profit selon le Spiegel, jusqu’à 4 fois plus selon une autre estimation du quotidien allemand Bild. Et ce, grâce à une mise de départ alimenté avec un crédit à la consommation « d’une valeur de plusieurs dizaines de milliers d’euros », a expliqué la représentante du parquet fédéral, Frauke Köhler.

Déjà, avant le 11 Septembre

Les « options d’achat » et la « spéculation à la baisse » sont des pratiques vieilles comme la finance. « On en a retrouvé des traces datant de l’Antiquité, explique Gunther Capelle-Blancard, économiste à Paris 1. C’est un contrat comparable à une assurance, qui est utile. »

Cela permet en particulier aux banques d’investissement de « couvrir leurs positions » : « On achète une action A et, en parallèle, on achète une option de vente pour la même action. Comme ça, nous sommes couverts en cas de baisse trop forte du titre », explique un banquier. Et si le cours monte, la banque renonce à son option de vente. « Ce n’est pas l’instrument qui est en cause, poursuit Gunther Capelle-Blancard, c’est la fraude qui l’entoure, lorsqu’il y a une manipulation [visant à faire chuter les cours] ou un délit d’initié ».

De mémoire de connaisseur, cet attentat à but lucratif est une sinistre première par sa violence. Les manipulations visant le cours d’une action sont, en revanche, légion. Surtout depuis que les marchés sont dématérialisés et les ordres passés via Internet.

Vinci a dû démentir en novembre une information diffusée dans un faux communiqué, annonçant des pertes financières. L’action du groupe avait dévissé à une telle vitesse que sa cotation avait dû être suspendue. En 2013, des hackers s’en étaient pris cette fois au compte Twitter de l’agence de presse Associated Press, pour propager la rumeur d’un double attentat à la Maison Blanche, provoquant une panique sur l’indice Dow Jones. Gunther Capelle-Blancard prend également l’exemple du collectif de « Hacktiviste » anglais Yes Men, qui avaient réussi à se faire inviter au nom d’Ucil, multinationale de la chimie, pour annoncer sur la BBC l’indemnisation des 500 000 victimes d’une catastrophe causée à Bhopal par la firme vingt ans plus tôt. Le cours avait brutalement chuté dès la propagation de la fausse information.

Le scénario de l’attaque terroriste visant à influencer le cours en Bourse est aussi dans les esprits depuis longtemps. « Nous savions que cela allait provoquer ce type d’attentat », réagit Paul Jorion, ce vendredi par téléphone. En 2003, comme il le rappelle sur son blog, le Pentagone avait provoqué un tollé avec un projet de « marché à terme », logé sur un site Internet dont il aurait eu le contrôle, permettant à des spéculateurs de parier sur des attaques terroristes. _« Suivant un schéma inventé par des gens liés à la NSA et à l’armée américaine [l’amiral John M. Poindexter], ils ont imaginé un marché d’options pour prévenir les attentats terroristes. En se disant précisément que les terroristes allaient acheter des options et qu’on allait pouvoir les arrêter avant qu’ils ne commettent leur attentat », résume Paul Jorion.

Le projet porté par la Darpa (Defense Advanced Research Projects Agency), agence du département de la Défense des États-Unis, avait été officiellement enterré suite au scandale déclenché par les révélations de deux sénateurs démocrates, Byron Dorgan et Ron Wyden (comme on peut le lire dans cet article du New York Times).

L’opération peut en effet paraître farfelue. Il partait pourtant d’un constat déjà mis en lumière en 2006, comme le rappelle Gunther Capelle-Blancard. Un volume « exceptionnellement élevé » d’achat d’options sur les compagnies aériennes a été observé les jours qui ont précédé les attentats du 11 Septembre. Et ce n’est pas, là encore, un site complotiste qui le dit. Mais le professeur de finances de l’université de l’Illinois Allen M. Poteshman, dans un article publié par la revue Journal of Business.

Des fraudes très difficiles à repérer

Il partait aussi d’un constat formulé depuis les années 1980 par de nombreux analystes, soucieux de prévenir ce type de manipulations, sur les marchés « d’options ». « Toutes les autorités financières ont mis en place des alertes sur les volumes, avec des modèles secrets, explique Gunther Capelle-Blancard, mais c’est le jeu du chat et de la souris, les fraudeurs trouvent toujours des moyens de se camoufler. »

Le terroriste de l’attentat de Dortmund a commis plusieurs erreurs majeures. D’abord, selon les enquêteurs, celle d’avoir passé ses ordres depuis l’hôtel des joueurs, où il avait loué une chambre pour surveiller les va-et-vient. Mais également le choix de sa cible : « Le marché boursier de Dortmund est très peu liquide », relève Gunther Capelle-Blancard. Les mouvements financiers ont donc pu attirer l’attention des enquêteurs, même si le parquet fédéral allemand n’a communiqué aucun détail en ce sens.

Le reste du temps, il est extrêmement difficile de repérer les délits d’initiés (une personne profite d’une information confidentielle impactant l’évolution future des marchés pour spéculer). « Il y a une telle fragmentation des marchés, qu’il existe énormément de moyens de spéculer à la baisse, observe Gunther Capelle-Blancard. Il y a des réformes structurelles à faire pour améliorer la transparence des marchés. Depuis une quinzaine d’années, nous avons de moins en moins de traçabilité sur les produits financiers. Ce qui rend la surveillance plus complexe. »

D’autant qu’aujourd’hui, « l’exécution des ordres se fait à la nanoseconde », remarque un professionnel du secteur.