La grande peur des « mal-pensants »

Penchons-nous sur les ressorts de l’incontestable popularité de la Pen.

Sébastien Fontenelle  • 12 avril 2017 abonné·es
La grande peur des « mal-pensants »
© photo : Sebastien Bozon / AFP

Le directeur de la rédaction de Marianne – l’excellent Renaud Dély – ne tait point, dans le dernier numéro de cet hebdomadaire, qu’il est, à l’approche de l’élection présidentielle, rongé par une lancinante inquiétude : « La menace d’une victoire du Front national » – et, partant, « d’une entrée de Marine Le Pen à l’Élysée » – n’a, écrit-il, « jamais été aussi forte ».

Disons le tout nettement : ce constat n’est pas du tout faux, et Renaud Dély a raison de flipper.

Mais quant à nous, et pour aujourd’hui, laissons de côté, si tu veux bien, l’angoisse où nous confine aussi la menace frontiste. Et penchons-nous plutôt sur les ressorts de l’incontestable popularité de la Pen – pour observer que c’est dans la construction d’une rhétorique nationale mélangée de quelques balivernes à tonalité socialiste (où sa clientèle est priée d’oublier qu’en réalité l’extrême droite est « toujours » l’amie du capitalisme) qu’elle a prospéré.

Pour le dire autrement : elle a, d’une part, préempté certains des thèmes élémentaires que la « gauche » de droite – dont le quinquennat de M. Hollande fut l’acmé gouvernemental – a depuis longtemps abandonnés, comme, par (très basique) exemple, la défense du salariat contre la prédation du patronat.

Question : pourquoi cette « gauche » a-t-elle ainsi – et si radicalement – trahi ce qui la constituait ? L’une des explications de ce spectaculaire reniement est qu’il a été, depuis trente et quelques années, continûment encouragé par les hourras d’une éditocratie que rien ne pâmait comme ce ralliement aux marchés.

Et la vérité oblige à consigner ici que l’une des voix les plus constantes, dans cette si opiniâtre exhortation à renoncer à tout ce qui aurait pu ressembler à du socialisme sans guillemets, a longtemps été celle d’un certain Renaud Dély, auteur notamment, du temps qu’il servait à Libération sous Laurent Joffrin, d’un exhilarant bouquin appelant « la gauche » à « s’affranchir des tabous qui la [corsetaient] » pour s’abandonner enfin aux ivresses du blairisme désinhibé.

D’autre part, et en même temps qu’elle fait mine d’être moins reaganienne que n’était son père, la Pen continue de flatter dans son électorat des phobies dégueulasses – et la double peur, principalement, de l’immigration et de l’islam.

Et, là encore, force est de constater que la tâche lui a été facilitée par les journaux et magazines – et autres médias – qui, depuis des années, font un écho journalier à ses imprécations. Comme, par exemple, Marianne, qui s’est d’assez longue date fait une spécialité de confectionner, « contre le ronron languissant de la bien-pensance », des gros titres narrant « pourquoi il faut tout dire » sur (et « (briser) le tabou de ») l’« immigration », ou « pourquoi l’islam fait peur ».

En somme, on espère (très sincèrement et de tout cœur) qu’au lendemain de la présidentielle Marine Le Pen et le si légitime tourment que l’hypothèse de sa victoire entretient chez Renaud Dély ne seront plus que de (très) mauvais souvenirs – et que nous pourrons enfin nous consacrer sereinement à un examen plus attentif de ce qui aura, dans la journalisterie de l’époque, si constamment favorisé sa si oppressante ascension.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

Temps de lecture : 3 minutes