Cyril Hanouna, une chaîne de responsabilités

La polémique autour de l’émission « Touche pas à mon poste », sur C8, et de son canular homophobe ne cesse d’enfler. Non sans une certaine hypocrisie à tous les étages.

Jean-Claude Renard  • 31 mai 2017 abonné·es
Cyril Hanouna, une chaîne de responsabilités
© photo : JOEL SAGET/AFP

C’est une histoire de feinte, de faux-semblant et de fourberie générale, de l’animateur à la chaîne et des sponsors au CSA, qui débute comme ça : un canular, le 18 mai, sur C8, dans l’émission « Touche pas à mon poste » (« TPMP »). Après avoir émis une annonce sur le site de rencontres VivaStreet, Cyril Hanouna prend au téléphone quelques hommes et une femme (qui ignorent alors que la séquence est télévisée, donnant leur nom, parfois leur profession – sans que leur voix ne soit modifiée). Se présentant comme « Jean-José », bisexuel qui aime qu’on « l’insulte », Hanouna prend une voix efféminée caricaturale et tient des propos sexuels très crus avant d’avouer à ses interlocuteurs qu’ils sont piégés en direct ou de leur raccrocher au nez en pouffant. De longues séquences ouvertement homophobes.

Le lendemain matin, le Conseil supérieur de l’audio-visuel (CSA) reçoit plusieurs dizaines de plaintes. Le buzz est lancé, relayé par les réseaux sociaux. Le 20 mai, le CSA enregistre 20 000 plaintes ; plus de 25 000 le 24 mai (record battu au regard des 36 000 plaintes sur toute l’année 2016 et sur l’ensemble des programmes télé). Le CSA est vite dépassé. L’Association des journalistes LGBT (AJL) dénonce un « piège inacceptable », soulignant que, « parmi les rires, les blagues et les applaudissements, ces remarques peuvent parfois passer inaperçues. Mais les télé-spectateurs-trices LGBT les entendent. L’air de rien, elles dessinent surtout dans l’esprit du public ce qu’il est possible de faire chez soi, avec ses ami(e)s, au travail, au lycée : se moquer des personnes LGBT pour ce qu’elles sont, les transformer en animaux de foire sous couvert d’humour, les accepter (un peu) pour les humilier (beaucoup). »

D’abord goguenard devant la colère et l’indignation générales, Cyril Hanouna se justifie le lendemain : « On peut dire que ce n’était pas drôle, ou pas approprié, mais dire que je suis homophobe, ça, je ne peux pas l’entendre. » Cinq jours plus tard, dans une lettre d’excuse publiée sur le site de Libé, peu avare d’hypocrisie, il se dit « bouleversé ». Autour de lui, on clame le très pratique « droit à la caricature ». Idem pour le droit à l’humiliation publique ?

« TPMP » possède une mécanique bien rodée. Spectaculariser, inciter au dérapage et observer le buzz. « Hanouna fonctionne en deux temps, relève François Jost [1], professeur à la Sorbonne et spécialiste des médias. Dans le premier, il stigmatise, il persécute ; dans le second, il explique que ses gestes ne correspondent pas à ses pensées. D’un côté, un sketch homophobe ; de l’autre, une protestation pour dire qu’il n’est surtout pas homophobe. On pense un peu au protocole de la torture où deux personnes agissent : le sadique brutal, puis le plus doux qui est chargé de faire avouer. Hanouna commet des actes brutaux, puis il pense qu’en appelant les persécutés “ma beauté” ou “mes chéris”, tout est réparé. »

Si l’on s’offusque maintenant, en fin de compte, c’est quoi, « TPMP » ? Une émission contre laquelle le CSA a déjà engagé deux procédures de sanction. Une émission qui juge l’actu de la télé et ce qui fait le buzz autour d’elle. Qui, sous couvert de rigolades, produit de la violence chaque jour, une curée cathodique bien grasse. Une émission où les chroniqueurs, harangués par Hanouna (telle une petite frappe encourageant ou terrorisant ses camarades dans une cour de récré), rivalisent de vulgarité. Un programme voyeuriste qui reprend certains codes de la télé-réalité : on juge, on se met en compétition, sous pression, on glousse dans la surenchère, on moque, dénigre et ridiculise les plus faibles. Il y a là quelque chose qui ressemble au monde de l’entreprise, où la violence des rapports sociaux s’exprime sans complexe. Si on n’élimine pas (quoique), on pratique l’humiliation au quotidien, versant aisément dans le sadisme.

L’émission se délecte ainsi de voir Hanouna glisser des nouilles dans le slip de Matthieu Delormeau, chroniqueur souffre-douleur, consentant habituel, ou de voir Jean-Michel Maire embrasser une jeune femme (pour le coup, sans son consentement) et on s’esclaffe quand Hanouna fait toucher son entrejambe par une autre chroniqueuse, Capucine Anav, yeux bandés. Il faut croire que ça plaît puisque l’émission rassemble chaque soir près d’1,5 million de téléspectateurs – et un peu plus ces derniers jours, principalement dans la tranche des 15/34 ans. Un public sans doute satisfait et consolé de voir sur le petit écran à 19 heures ce qu’il a vécu dans la journée. « Hanouna a surtout très bien compris une certaine psychologie adolescente, qui tire son plaisir de l’humiliation de ses camarades, par exemple en faisant circuler des images dégradantes sur les smartphones. Son émission est là pour la flatter », observe François Jost. C’est cette forte audience qui encourage l’animateur à aller toujours plus loin, avec la bénédiction de la chaîne.

Aujourd’hui, tout le monde tombe des nues. Pourtant, en décembre dernier, l’AJL recensait dans « TPMP » 42 occurrences sur l’homosexualité pour le seul mois précédent, « souvent pour en rire de manière rabaissante ». Le même mois, David Perrotin, journaliste à BuzzFeed, énumérait dans un long article les exemples relevant de cette homophobie ordinaire à l’antenne (comme les blagues sexistes et antiasiatiques), après avoir regardé une vingtaine d’émissions, entre le 29 septembre et le 9 décembre.

Le 23 mai, contraint de s’exprimer, mais sans marge de manœuvre, le CSA annonce engager une troisième procédure de sanction et informe que le dossier est entre les mains d’un rapporteur indépendant (la sanction peut être une amende – jusqu’à 320 000 euros – ou la suspension de l’émission). Prévenu depuis l’automne 2016, pourquoi n’est-il pas intervenu plus tôt ? In fine, le CSA botte en touche. À la tête de C8, Franck Appietto estime « qu’on essaye de fragiliser l’émission d’access en accusant Cyril Hanouna d’homophobie » et promet hypocritement de diffuser sur les antennes du groupe un message pour lutter contre l’homophobie.

L’indignation a pris un autre tour quand plusieurs marques, nourrissant l’émission de leurs pubs, ont déclaré se retirer, avec un même mot d’ordre : « Conformément aux valeurs du groupe, nous suspendons nos investissements publicitaires sur ce créneau horaire. » C’est le cas d’Orange, de Petit Navire, Bosch, Chanel, PMU, Flunch… Au total, une cinquantaine d’annonceurs (sur près de 70). Pour noyer le poisson et éviter de stigmatiser les marques, la chaîne n’a diffusé aucune pub au cours de cette seconde semaine de polémique. Entre 25 000 et 30 000 euros le spot, ça commence à faire cher. C’est, dit-on, ce qui peut inciter la chaîne à prendre des sanctions. On en doute. Tête de gondole de la chaîne, Hanouna rapporte 50 % de la pub pour l’ensemble de C8. Les marques se découvrent donc des valeurs, comme l’opinion publique… Mais diable ! Que n’ont-ils, ces annonceurs, retiré plus tôt leurs spots publicitaires ? Au reste, il est seulement question de suspension. Gageons que, le soufflé retombé, ils reviendront hypocritement à l’antenne. Parce que l’audience l’emporte toujours.

« TPMP » aura ainsi atteint son but : faire le buzz du buzz, jusqu’à attirer la curiosité d’un public qui l’ignorait jusque-là. C’est la suprême hypocrisie de cette polémique.

[1] Dernier ouvrage paru : Le Récit cinématographique. Films et séries télévisées, avec André Gaudreault, éd. Armand Colin.

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