En route vers un troisième tour social

La mobilisation dans la rue contre la politique d’Emmanuel Macron a déjà commencé, dans la continuité du mouvement hétéroclite qui dure depuis plus d’un an.

Erwan Manac'h  • 10 mai 2017 abonné·es
En route vers un troisième tour social
© photo : Lionel BONAVENTURE/AFP

Une fanfare et une batucada qui se répondent ; les harangues percutantes d’un trio de tribuns juchés sur une voiture-sono prête à prendre la direction de la place de la Bastille : la mécanique du « Front social », convoqué lundi 8 mai sur la place de la République, à Paris, est parfaitement huilée. Les quelque 70 syndicats « de base », associations et collectifs militants qui comptaient parmi les plus combatifs lors du mouvement contre la loi travail ont réussi leur pari en réunissant plusieurs milliers de personnes derrière un message d’avertissement des plus clairs. « Macron, tu n’auras pas de répit », lance au micro Mickaël Wamen, ­syndicaliste CGT et figure du combat des ouvriers de Goodyear. « Le syndicalisme doit avoir un coup d’avance, ajoute Romain Altmann, secrétaire général de la CGT Info-com. Nous ne voulons plus nous mobiliser en réaction à une attaque. Il faut constituer un front social actif sans attendre. »

Il y a ceux qui refusent d’emblée « le jeu bidon du dialogue social » et mettent les centrales syndicales au défi de « refuser d’y aller, pour gagner la rue et s’adresser à la jeunesse », à l’instar de Michaël Wamen. Solidaires, de son côté, invite les organisations syndicales à « une discussion rapide », dès le 11 mai, pour créer « un front unitaire ». « Nous ne devons pas attendre pour nous unir et proposer une réponse forte dans les semaines qui viennent », assure Éric Beynel, porte-parole de Solidaires. Un collectif réunissant une cinquantaine d’associations, dont Attac, Droit au logement et le Réseau éducation sans frontières, vient également de lancer un appel intitulé « Nos droits contre leurs privilèges ». Avec une assemblée citoyenne le 20 mai à Paris, il espère faire entendre la voix du mouvement social dans les élections législatives.

Emmanuel Macron a donc déjà réussi à remettre en mouvement l’alliance hétéroclite qui a battu le pavé l’an dernier contre la loi travail. Toutes ses composantes ont été piquées au vif par la promesse de réformer le droit du travail par ordonnances, sans débat à l’Assemblée nationale. « L’effervescence du mouvement contre la loi travail nous a redonné de la confiance et de la légitimité pour prendre la parole. Nous n’allons pas perdre cette dynamique », assure Loïc Canitrot, de la compagnie Jolie Môme. « Il est clair qu’il faut une mobilisation sociale forte dès les premiers mois du mandat d’Emmanuel Macron, pense aussi Annick Coupé, pour Attac et le collectif Nos droits contre leurs privilèges. Le contraire serait un très mauvais signal pour les cinq ans à venir. »

Le code du travail fait donc figure de priorité pour le mouvement social. Les ordonnances sont attendues dès l’été, juste après la prise de fonction de la nouvelle Assemblée, fin juin. Emmanuel Dockès, spécialiste du droit du travail, se tient donc prêt pour un été torride sur le front du décryptage de ces ordonnances. « Les lois Macron et El Khomri étaient les purs produits d’une technocratie extrêmement développée. Elles étaient d’une complexité incroyable, à rebours du discours publicitaire sur la “simplification” du code du travail, souligne le juriste, auteur avec une vingtaine d’universitaires spécialistes du droit du travail d’une proposition de code plus protectrice [1]. Nous allons donc regarder d’assez près et soulever les loups présents dans ces ordonnances. Car c’est dans la jungle des détails que se cachent des choses extrêmement brutales. »

Les mois et les années à venir s’annoncent également tendus dans la fonction publique. Emmanuel Macron prévoit la suppression de 120 000 postes de fonctionnaires et une baisse de dotations aux collectivités aussi sévère que celle imposée par François Hollande (10 milliards d’euros). Ce qui devrait alourdir une situation déjà intenable dans beaucoup de services publics. Le nouveau contrat signé entre La Poste et les collectivités a déjà accéléré le rythme des fermetures de bureaux et accru la mobilisation. La Convergence nationale des services publics dénombre ainsi 400 fermetures à l’échelle nationale en un an (27 sur la seule ville de Paris) et enregistre plusieurs journées de mobilisation (le 1er juin à ­Grenoble, le 10 juin à Paris…).

Deux autres batailles seront emblématiques : la première, défensive, pour la sauvegarde de la Sécurité sociale. Une réunion intersyndicale est prévue le 21 juin pour tenter de créer un front commun contre les déremboursements, que tout le monde redoute (Emmanuel Macron a annoncé un coup de rabot de 15 milliards d’euros sur le fonctionnement de l’assurance-maladie). La seconde, offensive, sur la gestion de l’eau potable. « Il y a tout un mouvement de retour en régie publique en France. Nice, Montpellier et Vierzon ont récemment sauté le pas », relevait Jean-Claude Oliva, de la Coordination eau bien commun France, lors de la publication du Manifeste pour le service public du 21e siècle [2]. Des victoires symboliques peuvent donc être obtenues, notamment grâce à la période de transfert de compétences prévue d’ici à la fin 2017 par la réforme territoriale [3].

L’élection d’Emmanuel Macron pourrait aussi relancer la lutte de Notre-Dame-des-Landes. Le nouveau président avait annoncé l’envoi d’une médiation pour « calmer les choses » et tenter de convaincre les opposants de quitter la zone visée par le projet d’aéroport dans un délai de six mois. « Nous accepterons cette médiation si elle est vraiment indépendante et si nous pouvons véritablement travailler sur les éléments de fond », prévient ­Françoise Verchère, du collectif des élus opposés à l’aéroport (Cédpa). Sur la ZAD, où une journée portes ouvertes est prévue le 21 mai, la mobilisation reste forte et tournée vers des alternatives concrètes. Une tranquillité qui pourrait se révéler éphémère, car Emmanuel Macron a prévenu qu’il « prendra ses responsabilités et fera évacuer la zone » en cas d’échec de la médiation.

Le nouveau président a un autre rendez-vous urgent avec le mouvement social, au sujet du Ceta, l’accord de libre-échange entre l’Europe et le Canada. Le texte voté par le Parlement européen le 15 février, qui prévoit d’abattre les barrières « non tarifaires » au commerce, comme les normes environnementales, doit être appliqué « provisoirement » à compter de début juin ou début juillet. Trente-sept parlements nationaux et régionaux devront ensuite ratifier le texte dans les mois et les années à venir. Mais, même en cas de rejet in fine du texte, certaines dispositions, comme celles relatives à la protection des investissements, resteront en vigueur pour les vingt prochaines années. Sur ce dossier brûlant, Emmanuel Macron a promis le 1er mai de commander à une commission d’experts – encore une – un rapport sur les « conséquences environnementales et sur la santé de cet accord ». Il doit en tirer « toutes les conclusions » trois mois après son élection. De quoi calmer la mobilisation le temps des législatives. Les Amis de la Terre et l’Institut Veblen pour les réformes économiques jugent cette ouverture « encourageante mais encore bien timide, et surtout très tardive ».

L’agenda social est donc chargé pour le vainqueur de la présidentielle. Qui n’aura aucun état de grâce pour réformer. Et le climat est particulièrement tendu depuis maintenant un an. Il s’est même encore durci depuis les débordements de la manifestation du 1er mai, qui a fait deux blessés chez les policiers, dont un gravement brûlé, et 124 parmi les manifestants, selon les groupes autonomes. Ces derniers jours, les préfectures de police de plusieurs départements ont prononcé des interdictions de territoire pour des militants identifiés dans des manifestations émaillées d’incidents. Soixante-neuf interdictions ont été dénombrées par les militants de la région parisienne pour le seul week-end du second tour, dans des arrondissements où devaient avoir lieu des manifestations ou les soirées électorales des deux candidats.

Malgré cela, le Mouvement inter-luttes indépendant (Mili) et le collectif Génération ingouvernable, qui participent au « cortège de tête » formé devant le défilé syndical dans les manifestations contre la loi travail, restent plus que jamais mobilisés. Notamment contre les violences policières, dans le prolongement du mouvement qui a fait suite à l’affaire du viol présumé du jeune Théo. S’il veut gouverner sur la ligne dure qu’il a affichée lors de sa campagne, Emmanuel Macron devra donc immanquablement gérer un bras de fer d’une intensité rare avec la rue.

[1] Proposition de code du travail, collectif, Dalloz. 

[2] Publié aux éditions Arcane 17. 

[3] Voir notre dossier publié dans Politis n° 1445 (15 mars).

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