Entre interdictions et destructions, les censures de l’extrême droite

De Villers-Cotterêts à Hayange, du cinéma à l’art contemporain, les cas de censure se sont multipliés ces dernières années.

Jean-Claude Renard  • 3 mai 2017 abonné·es
Entre interdictions et destructions, les censures de l’extrême droite
© photo : BORIS HORVAT / AFP

C’est une toute petite ville proche de Vaison-la-Romaine, dans le Vaucluse, gagnée par le Front national en 2014. Un an après son élection à la tête de Camaret-sur-Aigues, le maire Philippe de Beauregard interdisait l’affiche du film La Belle Saison, de Catherine Corsini, représentant deux femmes enlacées, jugeant certaines scènes du film « choquantes » et refusant « d’en faire la promotion avec les moyens municipaux ». « À vous en croire, on devrait rhabiller les statues de nues, mettre un voile sur les peintures de Courbet, Manet, Renoir », avait répliqué la réalisatrice, rappelant que deux ans auparavant, c’est l’affiche du film L’Inconnu du lac, d’Alain Guiraudie, qui avait été retirée des rues de Versailles (UMP) et de Saint-Cloud (UMP). « Votre censure s’inscrit dans une lignée qu’on connaît bien, celle qui, sous couvert de protéger les valeurs familiales, répand les passions tristes et la haine du corps », concluait Catherine Corsini.

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À l’évidence, la droite extrême et l’extrême droite ont du mal avec le corps, et confondent histoire sentimentale, érotisme poétique et pornographie. Elles ont aussi du mal avec la religion où toute inspiration est rapidement intolérable. On l’a vu avec les pièces Sul concetto di volto del Figlio di Dio, de Romeo Castellucci ou Golgota Picnic de Rodrigo Garcia, soulevant l’ire de militants, comme ce fut le cas, à l’époque, avec Je vous salue Marie, de Jean-Luc Godard, Amen, de Costa-Gavras ou La Dernière Tentation du Christ, de Martin Scorsese, conspués par l’Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne (Agrif), un temps présidée par Christine Boutin.

De son côté, dans une autre forme de censure, élu à Béziers avec le soutien du Rassemblement bleu Marine, Robert Ménard ne s’est pas embarrassé de scrupules : il a supprimé le poste de directeur des théâtres et de la culture de la ville. Voilà qui rappelait Catherine Mégret, maire de Vitrolles (1997-2002), supprimant les subventions accordées aux syndicats et aux mouvements humanitaires, limogeant la directrice d’un cinéma d’art et d’essai. Mais c’est dans son rapport à l’art contemporain, bien trop « décadent » à ses yeux, sinon « dégénéré », que l’extrême droite exprime le plus souvent sa haine de la culture, et fait acte de censure.

En 2013, Jean-Claude Philipot, directeur de campagne de Roger Paris (candidat FN à la mairie de Reims) et ancien délégué national de Civitas, s’attaquait aux collections du Fonds régional d’art contemporain (Frac) de Champagne-Ardenne, considérant l’institution comme « un écrin pour de la merde ». Le ton était donné. Ainsi, en 2015, le maire FN de Villers-Cotterêts, Franck Briffaut, retirait dans la bibliothèque municipale le livret d’une exposition dont une pièce de Roelof Koebrugge, autour de la montée des eaux, symbolisait l’ascension de l’extrême droite. Plus humiliant encore pour un artiste : à Hayange, la mairie FN a fait repeindre une sculpture que la municipalité socialiste avait acquise en 2001 dans les tons bleu marine, sans prévenir l’artiste. Motif du maire, Fabien Engelmann : « On a une ville assez lugubre, sinistre, on a voulu l’égayer. » En « retouchant » une œuvre « dont on peine à appeler ça de l’art ». Entre les actes et le discours, on a là un programme : le rejet d’une culture ouverte, diverse et aventureuse, la préférence pour l’identité culturelle locale, l’éloge des traditions et du patrimoine historique et religieux. Soit une vision de la culture fonctionnant en vase clos. Un oxymore.