Libérer le travail, vraiment ?

Le profit ne peut plus être le seul critère pour les investissements.

Thomas Coutrot  • 24 mai 2017 abonné·es
Libérer le travail, vraiment ?
© photo : Emmanuele Contini / NurPhoto / AFP

Réduire les « charges », autoriser l’employeur à organiser un référendum pour déroger à la loi, plafonner les indemnités prud’homales pour les licenciements abusifs : voici ce qu’Emmanuel Macron appelle « libérer le travail ». Il s’agit en fait de réduire le coût du travail et l’incertitude sur les coûts de licenciement. M. Macron et le Medef croient que les patrons ont peur d’embaucher faute de savoir combien ça leur coûterait de virer abusivement le salarié…

Marx parlait du capital fixe comme d’un « travail mort » : « Le moyen de travail, du fait de sa transformation en un automate, se pose face au travailleur comme capital, comme travail mort qui domine et aspire la force vivante du travail. » Si M. Macron veut libérer le travail, c’est seulement le travail mort, c’est-à-dire le capital. Il veut que les patrons puissent innover et devenir plus compétitifs pour investir et accumuler davantage. Son espoir est que le travail mort, libéré de toute entrave, crée de l’emploi, c’est-à-dire du travail vivant.

M. Macron est jeune et dynamique, mais pas l’alchimie capitaliste qu’il prétend manier. Celle-ci est même obsolète, pour deux raisons. D’abord, le travail mort mutile de plus en plus le travail vivant, jusqu’à menacer sa reproduction. Chacun sait aujourd’hui que la montée des pathologies mentales et physiques liées au travail résulte directement de la précarisation des emplois, de l’individualisation et de l’intensification du travail, de son caractère de plus en plus répétitif et routinier, même dans les activités de services, et de sa perte de sens. Ce qui est moins connu, mais montré par des recherches récentes [1], c’est que la baisse de l’autonomie au travail provoque un recul de l’engagement politique et associatif, donc de l’intensité de la vie démocratique. La montée de l’extrême droite n’est pas sans rapport avec la peur du lendemain et la disparition des possibilités de se réaliser dans le travail.

En second lieu, le travail mort ne fait pas que dominer et aspirer la force vivante du travail, il domine et aspire la nature, jusqu’à menacer de la détruire elle aussi. La nomination de Nicolas Hulot au gouvernement ne saurait faire oublier cette réalité : à supposer que les politiques néolibérales parviennent à relancer la croissance, celle-ci sera inégalitaire et destructrice des écosystèmes. L’Accord de Paris n’empêchera pas les émissions de CO2 de battre des records jusqu’en 2030, alors qu’il faudrait les diviser par quatre d’ici à 2050. Plutôt que de parier sur des start-up, le capital-risque et les gadgets technologiques, l’urgence est à un effort massif d’investissements verts, publics et privés.

L’urgence est aussi à donner au travail vivant une prééminence sur le travail mort. Le profit monétaire ne peut plus être le seul critère de choix pour les investissements. Sans une refonte de la gouvernance des entreprises, la transition écologique restera inatteignable. Les salariés, les riverains, les associations et les collectivités publiques doivent avoir le même poids que les actionnaires dans les choix de développement des entreprises. Voilà la seule manière de libérer et de redonner du sens au travail.

[1] « Declining autonomy at work in the EU and its effect on civic behavior », H. Lopes, T. Calapez, S. Lagoa, ISCTE-IUL, décembre 2011.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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