« Lunch shaming » : quand les discriminations s’invitent à l’école

Apparue aux États-Unis, cette pratique consiste à humilier les enfants dont les parents n’ont pas payé les frais de cantine. En France, la loi affirme le droit à accéder au restaurant scolaire, ce qui n’empêche pas certaines dérives.

Malika Butzbach  • 5 mai 2017
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« Lunch shaming » : quand les discriminations s’invitent à l’école
© Photo : Jacques LOIC / Photononstop

Le lunch shaming, traduit par « déjeuner dégradant », peut prendre plusieurs formes, mais l’objectif est le même : stigmatiser les enfants pour inciter les parents « mauvais payeurs » à rembourser les factures de cantine. C’est en interdisant cette pratique que l’État du Nouveau-Mexique l’a mise en lumière.

Le 13 avril dernier, la loi Hunger-Free Students’ Bill of Rights est signée par la gouverneure du Nouveau-Mexique (États-Unis), Susana Martinez. Elle rend illégal le lunch shaming dans l’État.

Tampons sur les poignets des enfants

À l’initiative du texte, le sénateur Michael Padilla à lui même témoigné avoir été victime de ces pratiques. « Je devais m’occuper de laver le sol de la cantine. Tout le monde voyait que je faisais partie des enfants pauvres de l’école », a-t-il déclaré au Telegraph.

Il s’agit d’un cas parmi d’autres : pour punir la pauvreté, l’imagination ne manque pas. On a pu voir fleurir sur Twitter de nombreuses photos de tampons « I need lunch money » (« Je n’ai pas d’argent pour manger ») sur les poignets des enfants ou des bracelets permettant au personnel de cantine de les reconnaître. Dans ce cas, pas de repas chaud pour eux, au mieux un sandwich au fromage, décompté au même prix que le repas qui, lui, sera jeté.

La loi du Nouveau-Mexique est une avancée significative mais, si elle interdit les pratiques dégradantes, elle ne résout aucunement le problème structurel du système américain : le déficit budgétaire.

En France, de nombreux textes législatifs rendent illégaux des procédés comme le lunch shaming. Notamment la loi Ferry de 1881 établissant la gratuité absolue de l’école primaire, mais, plus récemment, la loi Égalité et citoyenneté, adopté le 27 janvier 2016. L’article 186{: target= »_blank » style= »font-size: 16px; background-color: rgb(255, 255, 255); » } assure que l’inscription à la cantine scolaire est un droit sans distinction de situation des enfants et de leurs parents.

« Il s’agit d’une grande avancée à nos yeux, explique Liliana Moyano, présidente de la Fédération des conseils de parents d’élèves. Cette loi permet d’établir un cadre qui dit les choses, qui à la fois protège l’élu local et affirme le droit à l’accès à la cantine scolaire. Mais nous sommes bien conscients qu’il nous faudra être extrêmement vigilants quant à son application. »

« Une méthode déplorable mais nécessaire »

Preuve en est, deux mois après l’adoption de la loi, la polémique des « enfants raviolis » de la ville de La Teste-de-Buch, en Gironde, a largement été médiatisée. La raison ? Le menu « de substitution », composé de raviolis en boîte, mis en place par la mairie (Les Républicains) pour les enfants dont les parents étaient en retard sur le paiement des frais. Face aux critiques des parents d’élèves, Jean-Bernard Biehler, adjoint au maire en charge de l’éducation, a expliqué que cette mesure n’était pas fréquente : elle n’aurait concerné que cinq enfants après de nombreuses relances des parents par courrier. « La méthode est certes déplorable mais nécessaire », expliquait-il.

D’autres enfants ont carrément été empêchés d’aller à la cantine. Dans le XVe arrondissement de Paris, le maire Philippe Goujon (LR) avait privé une vingtaine d’enfants de cantine en novembre 2016, au prétexte qu’ils bénéficiaient déjà d’un repas dans le centre d’hébergement d’urgence où ils vivaient. Un « doublon injustifié » selon l’élu.

Un choix politique

Dans les cas français, on constate que ce sont les maires qui sont à l’initiative de ces mesures : avant 2017, chaque collectivité locale était libre de mettre en place des conditions d’éligibilité à l’accès au restaurant scolaire. On ne peut ignorer la dimension politique dont relève ce choix. L’encre avait coulé lorsque, en 2014, la mairie (Front national) du Pontet dans le Vaucluse avait supprimé la gratuité totale de la cantine scolaire pour les enfants issus de familles démunies. Le maire Joris Hébrard avait estimé qu’il fallait « responsabiliser les parents ».

Ce mot revient très – peut-être trop – souvent dans ce genre d’affaires. Après la polémique à La Teste-de-Buch, le maire Jean-Jacques Éroles a publié un communiqué sur sa page Facebook intitulé : « Oser la fraternité oui, oser les responsabilités aussi ». « Ce discours c’est un grand classique », affirme la présidente de la FCPE. Il traduit cependant bien ce que ATD Quart monde a appelé la pauvrophobie, mettant un mot sur les discriminations pour précarité sociale.

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