Israël-Palestine en BD

Alain Gresh et Hélène Aldeguer nous racontent le conflit vu de France d’une manière originale. Superbe.

Denis Sieffert  • 7 juin 2017 abonné·es
Israël-Palestine en BD
© photo : Hélène Aldeguer /La découverte

On croyait que tout avait été dit et écrit sur le conflit israélo-palestinien, mais il manquait quelque chose : une BD l’abordant dans sa globalité. Alain Gresh, qui est certainement l’un des tout meilleurs connaisseurs de cette longue histoire, comble ce vide avec ce superbe Chant d’amour illustré par la dessinatrice Hélène Aldeguer. C’est l’histoire vue de France qui est racontée ici, celle des relations de nos gouvernements avec Israël, celle des lobbys pro-israéliens et des mouvements de solidarité avec les Palestiniens.

Tout commence, ou recommence, avec la guerre des Six-Jours, il y a tout juste un demi-siècle. On assiste à un dialogue entre Sartre et Rodinson, l’homme qui a osé caractériser Israël en tant que « fait colonial ». On voit le drapeau israélien flotter sur les Champs-Élysées. On entend les rumeurs : « Les Arabes vont jeter les Juifs à la mer… » On sent la peur, la haine, on pressent l’engrenage. On assiste à la fameuse conférence de presse de De Gaulle de novembre 1967. On surprend les commentaires de la radio. Et le film se déroule : les coups de main des fedayin, le virage pro-palestinien de la France…

Les scénaristes nous invitent à de constants allers et retours entre Moyen-Orient et scène diplomatique française, scène principale de la tragédie et coulisses. La bataille de Karameh, Arafat à l’ONU. Les contacts secrets entre Israéliens et Palestiniens à Paris, la première Intifada, Arafat reçu par Mitterrand. Choses connues et d’autres qui le sont moins, comme le refus, en juillet 1980, du Monde de publier des témoignages apportés par l’avocate Léa Tsémel sur les tortures pratiquées contre les prisonniers palestiniens.

Puis c’est l’attentat de la rue des Rosiers, le massacre de Sabra et Chatila, et bientôt la première Intifada, Arafat reçu par Mitterrand. L’histoire se déploie jusqu’à aujourd’hui. Jusqu’à cet autre « chant d’amour », celui qu’entonne François Hollande devant Benyamin Netanyahou, un jour de novembre 2013.

Au-delà des faits, c’est une ambiance française qui est restituée. On mesure le rôle des intellectuels déjà médiatiques comme BHL, qui commence une carrière prometteuse d’agent d’influence. Gresh et Aldeguer font une place particulière à la presse. Les gros titres de nos journaux rythment une guerre de propagande aussi asymétrique que celle des armes.

Le trait de la dessinatrice a la force de la sobriété. Voilà, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la guerre de Six-Jours, et alors qu’une annexion rampante poursuit son œuvre dans les Territoires occupés, une rétrospective à la fois pédagogique, frémissante de vie et d’une scrupuleuse authenticité. Un récit engagé ? Sans aucun doute. Mais dans cette longue histoire d’injustices, c’est la réalité qui est engagée.

Un chant d’amour. Israël-Palestine, une histoire française, La Découverte, 190 p., 22 euros.

Idées
Temps de lecture : 3 minutes

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